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SUR LES RAILS DE

L'HISTOIRE

Rails & histoire, l'Association pour l'histoire des chemins de fer vous propose de plonger dans l'histoire des chemins de fer au travers de nombreux domaines (législatifs, techniques, commerciaux etc...).Ces thèmes et dossiers seront amenés à évoluer au fil du temps : regroupements ou nouvelles déclinaisons pour les premiers, enrichissements pour les seconds.

Naissance du mouvement sportif cheminot 1897-1914

Bruno Carrière


Il est de coutume de faire remonter la structuration du mouvement sportif cheminot à la création, en 1928, de l’Union sportive des cheminots français (USCF). L’exploration de la presse spécialisée des années 1890-1910 (L’Aéro, Le Vélo, L’Auto-vélo, Journal des sports, Le Monde sportif, etc.) dément cette certitude en mettant en lumière une participation active de la corporation cheminote à la déferlante sportive qui touche alors le pays. Un engagement qui se traduit notamment par la mise en place d’un « Comité intercompagnies » visant à fédérer les initiatives locales [1].



Au temps du « Football-Rugby » qui ne faut pas confondre avec le « Football-Association », le football sous sa forme actuelle (Gallica/Tous les sports, 1er avril 1910).


Les premières associations sportives d’essence cheminote apparaissent dans les années précédant la Première Guerre mondiale. Elles s’inscrivent dans le mouvement qui conduit progressivement à la démocratisation en France de l’activité physique, symbolisée par un décret de 1869 prônant son développement au sein des lycées, collèges et écoles primaires. Une incitation que concrétise l’obligation faite en 1882, en réaction à la débâcle de 1870, de mettre en place des cours de gymnastique et d’exercice militaire dans les écoles de garçons. Les adultes n’ont pas attendu cette date pour faire leur cette nouvelle activité, structurée au niveau national par la création, dès 1875, de l’Union des Sociétés de gymnastique de France. Nulle surprise donc à ce que la première société sportive cheminote formellement répertoriée, Les Vigilants de l’Ouest, fondée à Rennes le 4 septembre 1891 et toujours en activité, ait eu précisément comme premier objet la pratique de la gymnastique (elle se dotera ultérieurement d’une section de tir). Edifiée à ses frais cette même année, sa salle occupait un terrain contigu aux emprises de la gare de Rennes mis à sa disposition par la Compagnie de l’Ouest (elle en disposera jusqu’en 1932).



Premiers clubs fédérateurs, première Fête sportive des chemins de fer


En 1897 naît le Touring Sport Ouest (TSO), « association des touristes et amateurs de sports des chemins de fer de l’Ouest ». Elle est présidée successivement par MM. Aubin (1897-1898), J. Cattin (1898-1900), A. Zimmermann (1900-1914). En 1898, elle entérine son affiliation à l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) et, en 1899, à l’Union vélocipédique de France (UVF) [2]. En novembre 1900, elle annonce l’ouverture prochaine de ses salles d’escrime et de boxe et publie son premier bulletin officiel « destiné à resserrer les liens de solidarité existant entre les sociétaires ». A la lecture de cette feuille, L’Auto attire l’attention sur le fait que le TSO a su « s’attirer des sympathies nombreuses auprès du haut personnel de l’Administration des Chemins de fer de l’Ouest et la liste des membres honoraires est une preuve évidente de l’intérêt que portent à l’Association les membres du Conseil d’administration et les chefs de service de la Compagnie ».



Léon Coudray, membre fondateur du Touring Sport Ouest (Gallica/L’Auto, 12 janvier 1903).


L’initiateur du Touring Sport Ouest, Léon Coudray – « vrai sportman dans toute l’acceptation du terme », adepte de la marche, du canotage, de la course à pied, de l’escrime et du tir – est surtout connu pour son engagement dans le domaine du cyclisme en tant que coureur, organisateur d’épreuves et dirigeant. C’est à son initiative que le TSO prend rendez-vous en mai 1898 avec l’Union cycliste du Chemin de fer du Nord (UCN), le « club doyen des chemins de fer » créé en octobre 1897 sous la présidence de M. Delaporte. Au terme de cette rencontre, « les deux seules Sociétés cyclistes et athlétiques actuellement constituées dans les compagnies de chemins de fer » décident de l’organisation d’une « fête sportive » ouverte « à tous les employés des chemins de fer français ». Au programme : deux courses cyclistes de vitesse de 2 km réservées pour l’une aux agents de l’Ouest, pour l’autre à ceux du Nord, une course cycliste de demi-fond de 10 km sans entraîneurs et une course pédestre de 1 500 m, celles-ci accessibles à tous. Les réunions tenues hebdomadairement chez Mollard, la brasserie parisienne la plus en pointe de l’époque sise à proximité immédiate de la gare Saint-Lazare, permettent d’affiner le projet du « premier meeting sportif des chemins de fer français ». Parrainé par le Journal des sports, celui-ci se tient le dimanche 10 juillet 1898 à Courbevoie, dans les murs du vieux stade-vélodrome du Stade français. En dépit d’une météo exécrable, la foule se presse en nombre accueillie par les flonflons de l’Harmonie du chemin de fer du Nord. Et, divine surprise pour les organisateurs, on note la présence d’une délégation importante de « dames », saluée comme il se doit par la presse : « C’était, en effet, un des traits caractéristiques de la fête de dimanche que l’empressement des dames à venir applaudir les exploits des champions du TSO et de l’UCN. C’est là un présage de bon augure pour les futures réunions des chemins de fer français : ce que femme protège, presque toujours réussit. » Quoique domiciliés à Paris, le TSO et l’UCN essaiment en province par le biais de « sections » locales qui développent leurs propres activités.



L’Union cycliste du Nord disposait d’antennes en province.


Début 1899, outre l’organisation d’une nouvelle fête programmée pour le 2 juillet, l’alliance TSO/UCN est renforcée par l’arrivée d’un nouveau venu, le Groupe cycliste de l’Est (GCE) présidé par René Gavard (employé au service de la voie) [3]. Le Journal des sports se félicite de ce nouvel appui et poursuit : « Il ne manque plus maintenant que ceux [les clubs] des réseaux du PLM, Orléans et de l’Etat. Cependant ils ont le temps matériel de se grouper et nul doute que d’ici le 2 juillet ils auront à cœur de participer à cette fête non seulement sportive mais plus encore corporative, ce qui ne pourrait que leur procurer de nouvelles amitiés parmi leurs collègues des autres compagnies. »



Le Comité intercompagnies, le challenge Camille Rousset


Cette même année 1899 est créé le « Comité intercompagnies » – qualifié par certains d’Association sportive des grandes compagnies de chemins de fer – chargé de l’organisation des manifestations communes au trois clubs. La présidence en est assurée par Stehlin, à la tête de l’Union cycliste du Nord depuis 1898 (chef de bureau central des services électriques de ladite compagnie). La Ceinture est invitée à participer aux premiers travaux du Comité.


La deuxième fête sportive annuelle des chemins de fer, parrainée par le Journal des sports et Le Vélo, se tient comme prévu le 2 juillet 1899, au vélodrome du parc d’Aulnay-sous-Bois. Pour l’occasion, deux trains spéciaux sont proposés au départ des gares du Nord et de l’Est (par Gargan). Toutes les épreuves (cyclistes et pédestres) sont dites « intercompagnies ». Des cheminots de la Ceinture et du PLM apparaissent au nombre des compétiteurs. Une exhibition d’escrime met un terme aux épreuves, un banquet et un bal nocturne venant clore la réunion.



Le vélodrome d’Aulnay-sous-Bois, siège en 1899 de la 2e Fête des chemins de fer.


La troisième fête des chemins de fer est programmée pour le 1er juillet 1900 au parc du Vésinet. La quatrième fête se tient le 16 juin 1901 au stade-vélodrome du Parc des Princes. L’appartenance aux réseaux est signalée par les rubans qu’arborent les participants : rose pour l’Ouest, bleu et jaune pour le Nord, bleu et blanc pour l’Est, blanc et rouge pour le PLM. L’année se termine par l’intégration des sportifs du Syndicat des Chemins de fer de Ceinture au TSO et l’admission au sein de l’alliance TSO/UCN/GCE de l’Union sportive PLM (USPLM) créée le 31 juillet avec la bénédiction de Gustave Noblemaire, directeur de ladite compagnie [4].


Afin de consolider les relations entre les quatre clubs, il est de bon ton que les membres dirigeants de chacun soient invités à assister aux assemblées générales des autres. Une démarche saluée par le chroniqueur du Vélo à la veille de l’assemblée générale de l’UCN du 10 mars 1900 : « Cette réunion, à laquelle sont convoqués les camarades cyclistes des autres compagnies, sera, comme tous les ans, nombreuse et animée. Les sportsmen des chemins de fer – je me fais un plaisir d’insister sur ce point chaque fois que l’occasion s’en présente – se plaisent à se retrouver les uns chez les autres ; ils sont en train de former une sorte de franc-maçonnerie sportive qui deviendra bientôt aussi puissante et aussi prospère que celle de la Nouveauté. » C’est dans cette ambiance de fraternité que se tient la cinquième fête des chemins de fer organisée le 22 juin 1902 au Parc des Princes.


Outre la fête sportive des chemins de fer, le Comité intercompagnies se charge, depuis 1900, de l’organisation du challenge Camille Rousset, du nom du tout nouveau conseiller municipal du Xe arrondissement, désireux par ce biais « de témoigner sa profonde sympathie aux employés des grandes compagnies de chemins de fer » [5]. Vélophile convaincu, Rousset entendait que ce challenge (concrétisé par « une délicieuse œuvre d’art ») soit mis en jeu chaque année à l’issue d’une course cycliste par équipes de 50 km réservée aux cheminots, à charge pour chaque compagnie de sélectionner les cinq coureurs permettant d’établir le classement général (sur la base des quatre premiers arrivés). La première édition, disputée en septembre 1900 entre Montgeron et Fontainebleau, est remportée par l’Union cycliste du Nord devant le Groupe cycliste de l’Est, les champions du Touring Club Ouest s’étant abstenus « par suite d’une entente ».



Camille Rousset, initiateur du challenge cycliste sur route du même nom (Gallica/L’Eclair, 5 juin 1900).



1903 : Vive la marche !


Cantonnée à d’obscurs championnats, souvent moquée, la marche fait l’objet à l’aube du XXe siècle d’un engouement soudain dans le sens où, contrairement à la grande majorité des autres pratiques sportives, elle s’impose comme « le sport simple et pratique par excellence […] à la portée de tout homme valide ». Le mouvement est amorcé en 1903 par le journal Le Matin qui, à l’initiative de l’un de ses reporters, Georges Grippon, organise coup sur coup trois épreuves d’essence corporative, à savoir : la marche des Boursiers (21 mai, de Villeneuve-Saint-Georges à Fontainebleau, 41,8 km), la marche des Banquiers (5 juillet, de Paris à Versailles, 40,2 km), la marche de la Nouveauté, réservée aux employés des grands magasins (20 septembre, de Paris à Enghien via Chatou, 42 km). De son côté, Le Monde sportif met sur pied la marche des Assurances (13 septembre, de Paris à Enghien via Sartrouville et Argenteuil, 28 km) et le Tour de Paris à la marche (27 septembre, par emprunt des boulevards qui longent les fortifications, 36 km).


Le succès rencontré par ces manifestations incite le quotidien sportif Le Vélo à imiter ses confrères en annonçant pour le 18 octobre une marche des Chemins de fer réservée aux seuls cheminots. Ceux-ci auront d’ailleurs deux autres occasions de s’illustrer en participant, dans la foulée, à la marche des Transports du 25 octobre et à la marche des Corporations du 8 novembre, parrainées pour l’une par Le Matin et pour l’autre par L’Auto.


Précisons ici que la marche des Transports a partagé la vedette avec trois autres épreuves disputées à Paris le même jour : marche des Midinettes / modistes, couturières (avec le soutien du Monde sportif), marche des Chansonniers (hebdomadaire Quat’z’arts, émanation du cabaret du même nom) et marche des Employés de la Bourse de commerce (L’Auto). Ce 25 octobre, toujours, 51 municipalités provinciales participaient à la marche des Tours de ville (Le Monde sportif) [6].


Cet intérêt aussi soudain que bref – aucune de ces confrontations ne sera renouvelée – est gentiment moqué par Jean Lavardac, chroniqueur à La République française : « Vive la marche ! Je marche, tu marches, il marche. Jamais on n’a tant marché […]. Depuis le commencement de l’année, en effet, nous avons assisté à toutes de courses à pied, de marches organisées par différents journaux. De sorte qu’aujourd’hui tout le monde "marche" sauf peut-être précisément ceux qu’on appelle "les vieux marcheurs". En tous cas, les épreuves de marche se sont multipliées à tel point que amateurs de marche ne savent réellement plus où donner de la tête. »



La marche des Chemins de fer


L’idée d’une marche des Chemins de fer est publiquement lancée par le journal Le Vélo le 26 septembre 1903. Cette épreuve, « réservée à la catégorie si nombreuse des employés de chemins de fer sans distinction de postes et d’emplois », s’adresse aux seuls amateurs à l’exclusion de tout concurrent qui aurait antérieurement participé à des courses comme professionnels, sous-entendu ayant perçu des prix en argent. Le Vélo entend obtenir le concours des compagnies ferroviaires. De fait, leurs représentants forment la colonne vertébrale du comité d’organisation avec : pour le Nord, Stelhin, président de l’Union cycliste du Nord ; pour l’Est, Lugné et Mahieux, ce dernier président du Groupe cycliste de l’Est ; pour le PLM, Devin, Marmion [7] et Missotte, celui-ci secrétaire de l’Union Sportive du PLM ; pour le PO, Brauchery ; pour le Midi, Brothier ; pour l’Ouest, Casper, P. Collin, P. Durand, trésorier du Touring Sport Ouest, et Hébert (Ouest) ; pour la Ceinture, Fines et Javerzac ; pour la Compagnie des chemins de fer du Sud de la France, Marius Dubuisson et Pierre.


Sans rien connaître des modalités de la manifestation (date, itinéraire et distance à parcourir, liste des prix attribués), les promesses de participation affluent aussitôt au siège du journal qui ne peut que saluer l’engagement des cheminots : « Il n’est pas possible d’être plus amateurs et plus sportsmen que ne se montrent les employés des chemins de fer. » Au total, 434 inscriptions sont enregistrées, avec le regret que la disponibilité des cheminots soit freinée par leurs obligations professionnelles : « Sans arriver au chiffre énorme atteint dans certaines épreuves précédentes, le résultat est plus que satisfaisant si l’on considère que les employés de chemin de fer ne sont pas très libres et que seuls, ou à peu près, les agents du service sédentaire ont pu envoyer leur engagement. » Afin de ne recevoir que des « inscriptions sincères », une contribution de 0 fr. 50 est demandée à chaque concurrent. Premier de la liste : Emile Meunier de la Compagnie de l’Est. Sans surprise, les plus gros contingents émanent, dans l’ordre, de l’Ouest, du PLM, du Nord, de l’Est et du PO. Viennent ensuite, loin derrière, la Ceinture, le Midi, le Sud de la France et l’Etat. Puis suivent, en petites unités, les Chemins de fer départementaux, les « Coloniaux » et les Wagons-Lits.


Le comité d’organisation précise graduellement les modalités de l’épreuve :

  • la date : 18 octobre 1903 ; départ donné à 7 h 30 du matin place de la porte Maillot devant le chalet du Touring Club de France ;

  • l’itinéraire (22,2 km) : Porte-Maillot, allée de Longchamps, Suresnes, Chatou, Le Vésinet, Le Pecq, Saint-Germain, Les Loges, Croix de Noailles, Maisons-Laffitte (arrivée à l’hôtel de ville) ;

  • la création d’une catégorie « vétérans » pour les plus de 35 ans, en clair pour « ceux qui ont passé cet âge où la souplesse athlétique commence à se perdre » ;

  • l’affectation à chaque compagnie d’une couleur distinctive arborée sous la forme de simples rubans à épingler à une épaule ou sur la poitrine, sans que le port en soit obligatoire : Nord (bouton d’or), Est (bleu ciel), PLM (mauve et noir), PO (rouge), Midi (grenat), Ouest (rose), Ceinture (mauve), Chemins de fer du Sud (vert) ;

  • les prix : l’épreuve étant réservée aux amateurs, ils consistent en objets d’art d’une valeur de 500 à 25 francs pour les treize premiers du classement général, de 200 à 25 francs pour les huit premiers vétérans ;

  • la remise d’un diplôme à tous les concurrents effectuant le parcours en moins de 4 h 30 ;

  • l’attribution des contrôles à des membres d’associations sportives locales ;

  • la mobilisation de trois médecins, deux chargés de suivre les participants en automobile, le dernier invité à donner si nécessaire les premiers soins à leur arrivée à Maisons-Laffitte (mobilisation de la salle des fêtes).


Itinéraire de la marche des Chemins de fer (Gallica/Le Vélo, 18 octobre 1903).



Le 18 octobre, ce sont finalement 338 partants (dont 213 seront classés) qui s’élancent depuis la porte Maillot par « un temps atroce capable de faire reculer nos plus hardis professionnels de la course à pied ». Le premier à se présenter à Maisons-Laffitte, « remarquablement frais, d’une jolie allure scandée et ferme », est Marcel Durand, des Chemins de fer départementaux, qui coupe la ligne en 2 h 33 m 3 s. Il est suivi neuf minutes plus tard par Henri Bidot et Georges Bizeau, du Nord, qui, terminant main dans la main, sont déclarés ex aequo. Employé au service de la correspondance dans les bureaux des Chemins de fer départementaux, Durand, interrogé, avoue n’avoir encore jamais participé à ce genre d’épreuve et ne faire partie d’aucune société sportive, un entraînement de quelques jours lui ayant suffi à se mettre en condition. Ce que dément sa participation, deux semaines plus tôt, au Tour de Paris à la marche où il avait obtenu la 10e place au classement général et la 2e place dans la catégorie des « bleus » (jeunes gens étant appelés à accomplir sous peu leurs obligations militaires).


Marcel Durand, des Chemins de fer départementaux, vainqueur de la marche des Chemins de fer (Gallica/Le Monde sportif, 26 octobre 1903).



Autre héros de la journée, le jeune Cazalis, de la Ceinture, âgé d’à peine quinze ans et demi, qui arrive à la 31e place, remarqué à son passage à Rueil pour son allure « merveilleuse de netteté ». Longtemps dans le peloton de tête, Cazalis avait été victime d’une « défaillance insurmontable » à deux kilomètres de l’arrivée pour avoir abordé la course le ventre vide. En récompense de sa performance, Le Vélo lui décerne une médaille spéciale. Du même âge, Roussel, du Paris-Orléans, pointé à la 94e place, est également gratifié d’une œuvre d’art offerte par Guerin, chef du contentieux des titres de cette compagnie. Chez les vétérans, la palme revient à F. Bazin, de l’Est, grâce à sa 25e place au classement général. Hommage est aussi rendu au doyen de l’épreuve, Durand, du Paris-Orléans, qui, bien qu’âgé de plus de 60 ans, « a fait la route à une allure que bien des jeunes n’ont pas pu suivre », terminant à la 85e place.


Le trophée le plus convoité reste cependant le challenge mis en jeu par La Vie au grand air, hebdomadaire sportif illustré, qui prend en compte les six premiers marcheurs de chaque compagnie. Il est remporté par le Nord (49 points) devant l’Ouest (72 points), l’Est (108 points), le PLM, le PO, les Chemins de fer départementaux, la Ceinture, le Midi, l’Etat, les Coloniaux, les Wagons-Lits et le Sud de la France.



La marche des Transports


À peine la page de la marche des cheminots tournée, ceux-ci se concentrent sur la marche des Transports programmée pour le 25 octobre. Parrainée par Le Matin, elle « est ouverte à MM. les employés et agents des compagnies de chemins de fer, de navigation et de transport de voyageurs en commun ». La corporation cheminote soutient l’initiative sans délai : Le Matin « a trouvé dans les clubs sportifs des compagnies de chemins de fer des collaborateurs empressés qui veulent bien se mettre à notre disposition pour recueillir les engagements dans les bureaux et les ateliers ». Ont répondu présents Hénon et Stehlin (Nord), Mahieu et Simonin (Est), Marmion et Missotte (PLM), Gassion (Ouest), Javerzac (Ceinture), Aguiller (ministère des Travaux publics). S’investissent également pour recueillir les engagements l’Association fraternelle des employés et ouvriers des chemins de fer français et la Société de protection mutuelle des employés des chemins de fer français et des colonies.


Les inscrits sont ventilés en trois catégories : chemins de fer et employés de la section des chemins de fer au ministère des Travaux publics ; transports parisiens de voyageurs en commun (métro, omnibus, tramway et bateaux) ; compagnies de navigation maritimes (voyageurs). Des prix en espèces sont prévus pour chacune d’elles, ainsi que pour les vétérans (plus de 35 ans). Mais, amateurisme oblige, les sommes versées devront être converties, au gré du bénéficiaire, en objets d’art, d’agrément ou d’utilité, à charge pour lui de « s’approvisionner » dans le magasin de son choix puis d’en adresser la facture au Matin pour remboursement. Un diplôme sera remis à tout candidat ayant couru les 40 km de l’épreuve en moins de huit heures. Là aussi, un challenge est proposé, le classement s’établissant sur la base des six premiers arrivants de chaque compagnie. Il se concrétise par la mise en jeu d’une superbe jardinière en argent repoussé qui sera conservée par le vainqueur pendant une année (propriété définitive si trois victoires consécutives ou non).


L’épreuve est prise très au sérieux par les cheminots qui entendent asseoir leur supériorité sur les autres acteurs du transport. Le Matin témoigne de cet état d’esprit : « Déjà l’on s’entraîne avec une belle ardeur, matin et soir, un peu partout, notamment autour de Longchamp, au bois de Vincennes et même après-déjeuner, dans les rues avoisinant les ateliers, sous l’œil bienveillant des chefs de personnel qui ne ménagent pas leurs encouragements aux futurs concurrents de la marche des Transports. » Plus loin : « Il nous revient que l’ingénieur en chef des services actifs d’une de nos grandes compagnies de chemin de fer – ne la nommons pas – s’est fait signaler les meilleurs marcheurs du personnel, afin de leur accorder toutes facilités pour se préparer… à gagner le challenge du Matin ». Ou encore : « Les présidents des clubs sportifs de plusieurs compagnies – et citons, en première ligne, MM. Stehlin, du Nord, et Mahieu, de l’Est – suivent avec un grand intérêt l’entrainement de leurs équipes. Ils ont dressé à leur usage des tableaux de marche raisonnés, méthodiques, en donnant aux concurrents d’utiles conseils d’hygiène. » Cependant, cette sollicitude ne vaut, semble-t-il, que pour une poignée d’agents en poste à Paris et ses environs. Des doutes assaillent les autres candidats : « De nombreux agents des compagnies de chemins de fer nous écrivent pour nous exprimer le désir qu’ils auraient à s’engager dans l’épreuve […]. Mais – il y a un mais – étant de service les dimanches comme les autres jours de la semaine, ils n’osent demander à leurs chefs les vingt-quatre heures de congé nécessaire. » Le Matin se veut néanmoins rassurant : « Il est agréable de répondre à nos correspondants qu’ils ont tort de ne pas… oser. Nous tenons, en effet, de source autorisée que, dans les compagnies de chemins de fer [et autres sociétés] ont réservé aux concurrents de la Marche du 25 octobre les encouragements les plus sympathiques. »


Le nombre total des inscrits s’élève à 628. Les compagnies ferroviaires présentent les plus gros contingents (60,8 % du total) avec une surreprésentation du Nord, de l’Est, de l’Ouest, du PLM et du PO (dans l’ordre). Les couleurs de chaque compagnie représentée sont identiques à celles retenues pour la marche des Chemins de fer. Les employés de la section des chemins de fer au ministère des Travaux publics optent pour une boutonnière tricolore. Ces couleurs doivent être obligatoirement arborées sous forme soit de cocardes soit d’écharpes. Il est impératif en effet de ne pas masquer le numéro d’ordre à épingler sur la poitrine et sur le dos de façon très apparente. Imprimés sur calicot blanc, ces numéros sont de couleur noire pour les chemins de fer, rouge pour les compagnies parisiennes de transports, bleue pour la navigation.


Le 25 octobre 1903, ils sont 462 à s’agglutiner au pied de l’hôtel du Matin, boulevard Poissonniers, prêts à s’élancer par « le plus vilain temps du monde », mais pour les puristes « le seul temps aimé du vrai marcheur ». Devant eux, 40 km qui doivent les conduire jusqu’au Raincy via la porte de Charenton, le bois de Vincennes, Joinville, Bry-sur-Marne, Le Perreux, Neuilly-sur-Marne, Chelles, Le Pin, Clichy-sous-Bois. Le départ est donné à 8 h précise, l’arrivée au casino du Raincy étant envisagée autour de 12 h 30 pour les premiers.



Le siège du Matin, au pied duquel a été donné le départ de la marche des Transports (Gallica/Le Matin, 25 septembre 1903).


LeVélo avait signalé la présence parmi les inscrits de Marcel Durand, des Chemins de fer départementaux, le vainqueur de la marche des Chemins de fer : « Ce sera un terrible adversaire pour les concurrents des autres transports, et ce sera peut-être pour lui l’occasion d’une seconde victoire. » Bonne intuition. Après seulement quelques kilomètres, notre « tout jeune homme » focalise l’attention du chroniqueur du Matin : « Il se différenciait des autres concurrents en ceci qu’il n’était point comme eux coiffé d’une casquette, mais d’une sorte de bonnet jacobin, rouge et étrange. En vérité, je dois dire que, sur le parcours, ce bonnet avait excité à rire quelques mauvais plaisants. Mais M. Durand ne s’en est était point soucié. Il avançait d’une allure aisée et rapide, fendant l’air de ses bras agités avec méthode. Et il avalait des kilomètres, à croire qu’il n’eût fait que cela toute sa vie, et comme si jamais, au grand jamais, il n’eût été employé aux Chemins de fer départementaux. »


Aussi est-ce sans surprise que notre homme franchit la ligne d’arrivée en vainqueur « à midi 32 minutes 5 secondes 3/5 », soit les 40 km en 4 h 32 m 5 s. Il est suivi à 3 minutes de d’Henri Pidot, du Nord, et à 9 minutes de Pichot-Duclos, de l’Est. On retrouve ainsi aux premières places et au même rang les deux héros de la marche des Chemins de fer ! Performance d’autant plus remarquable que les épreuves ont été courues à une semaine d’intervalle seulement. On remarquera que Pidot, piégé par la fermeture du passage à niveau de Joinville alors qu’il se trouvait en 3e position derrière Durand, avait dû fournir un gros effort pour revenir sur ce dernier à la sortie de la ville. Une débauche d’énergie qui lui a peut-être privé de la victoire.

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