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L'HISTOIRE

Rails & histoire, l'Association pour l'histoire des chemins de fer vous propose de plonger dans l'histoire des chemins de fer au travers de nombreux domaines (législatifs, techniques, commerciaux etc...).Ces thèmes et dossiers seront amenés à évoluer au fil du temps : regroupements ou nouvelles déclinaisons pour les premiers, enrichissements pour les seconds.

L’âge d’or des Trains Bonnet (1904-1914)

Dernière mise à jour : 19 juil. 2022

Chantre, en son temps, de la communauté auvergnate parisienne, directeur du journal L’Auvergnat de Paris et de la Ligue auvergnate, Louis Bonnet (1856-1913) est surtout connu pour avoir obtenu du PO et du PLM, en 1904, l’organisation de trains à tarif réduit réservés à ses « compatriotes » soucieux de renouer avec le pays.

Louis Bonnet (1856-1913). Photo publié par L’Auvergnat de Paris le 19 avril 1913 à la suite de son décès.
Louis Bonnet (1856-1913). Photo publiée par L’Auvergnat de Paris le 19 avril 1913 à la suite de son décès.


L’exemple des « trains Chautemps » octroyés aux Savoyards

En-tête de L’Auvergnat de Paris, journal créé par Louis Bonnet en 1882 (L’Auvergnat de Paris, 12 août 1906)
En-tête de L’Auvergnat de Paris, journal créé par Louis Bonnet en 1882 (L’Auvergnat de Paris, 12 août 1906)

Le 16 août 1903, L’Auvergnat de Paris, « organe de la colonie auvergnate paraissant de dimanche », publie une lettre ouverte de son directeur, Louis Bonnet [1]. Cette lettre s’adresse au docteur Paul Trapenard, son médecin traitant, à l’origine de cette démarche, par ailleurs secrétaire du Conseil général du Cantal. Bonnet y expose, entres autres sujets, son idée de trains spéciaux à prix réduits réservés aux Auvergnats de Paris soucieux de rentrer au pays la belle saison venue. Notre homme appuie sa requête sur l’exemple des trains mis en marche depuis quelques années par la compagnie du Paris-Lyon-Méditerranée (PLM) en faveur des Savoyards de Paris. Désignés sous le sobriquet de « trains Chautemps », du nom de leur initiateur, Emile Chautemps, ancien ministre des Colonies, aujourd’hui député de la Haute-Savoie, ceux-ci prennent, poursuit Bonnet, « des voyageurs de toutes classes et leur consent des rabais de cinquante et même de soixante pour cent ; les voyageurs partent ensemble, mais reviennent à leur volonté, dans un délai de trois mois ». Il révèle qu’il s’est adressé dans ce sens au PLM et au PO. Au premier, il a sollicité, en vain, la création de trains qui, sur le modèle de ceux de Chautemps, auraient conduit les Auvergnats de Paris à la station d’Aumont-Aubrac « si fréquentée pendant l’été » et auraient desservi en passant la Limagne et Saint-Flour. Au second, il a demandé, toujours sans succès, l’organisation de tels trains en direction du Cantal, notamment sur Vic-sur-Cère. Bonnet comprend que, « très infime journaliste », il n’a pu peser sur les grandes Compagnies autant que l’honorable Chautemps.Il lui paraît, cependant, qu’un vœu du Conseil général du Cantal, relayé par les assemblées départementales voisines, et principalement par celle de l’Aveyron que préside Emile Maruéjouls, ministre des Travaux publics, aurait peut-être plus de chance d’être pris en considération par les compagnies.


Deux semaines plus tard, Bonnet crie victoire : « Bonne nouvelle » titre L’Auvergnat de Paris du 30 août. Il annonce à ses lecteurs que le PO, cédant à sa sollicitation, s’est engagé à mettre à la disposition des Auvergnats de Paris, dès le printemps prochain, des trains spéciaux identiques à ceux circulant sur le PLM. A l’en croire, sa démarche a abouti sans appui extérieur : « Je sais bien, écrit-il, que ce que j’ai obtenu là, pour notre Colonie, d’autres l’auraient pu obtenir aussi, puisqu’il m’a suffi de le demander, sans même faire appuyer ma requête par des signatures influentes ; mais qu’on me permette cependant de ne pas montrer trop de modestie pour l’heureux résultat que je viens d’atteindre et dont tous nos compatriotes, à Paris comme au pays, sont appelés à profiter. » Concrètement, plusieurs trains seront mis en marche à des dates arrêtées de concert entre les deux parties. Les voyageurs partiront ensemble, mais leur billet d’aller et retour leur permettra, s’ils le désirent, de prolonger leur villégiature pendant trois mois et de revenir à Paris individuellement et quand ils le voudront par l’emprunt des trains du service ordinaire, y compris les express. Ces trains ne prendront aucun voyageur en cours de route afin d’arriver au plus vite à destination. Rien à voir donc avec les trains de plaisir qui circulent lentement et, imposant un retour à dates fixes, ne permettent qu’un court séjour sur place. Au surplus, on restera entre-soi : « Dans les trains de plaisir, on est gêné parce qu’on voyage avec des gens qu’on ne connaît pas. Dans nos trains d’Auvergnats de Paris, nous diviserons nos wagons par cantons : il y aura le wagon de Salers, celui de Vic, celui de Mur-de-Barrez, celui d’Entraygues, celui de Ste-Geneviève, celui de St-Amans-des-Cots et même celui de Laguiole. On voyagera en famille. » La réduction octroyée par le PO sera de 40 %. « C’est déjà bien, professe Bonnet, le mieux viendra facilement ensuite. »


Le 7 février 1904, Bonnet prend la plume pour répondre aux attaques dont il fait l’objet, notamment celles diligentées par certaines « sociétés » d’essence auvergnate habituées à faire voyager collectivement leurs adhérents. Il lui est reproché d’avoir fait cavalier seul et de s’être attribué injustement le mérite de l’accord en gestation. A quoi il réplique que les sociétés en question se sont méprises sur ses intentions, oubliant qu’elles pourront elles-mêmes bénéficier des avantages consentis par le PO. Quant à sa démarche, elle a été guidée parce qu’aucune voix, autrement plus influente que la sienne, n’avait osé, ou voulu, s’adresser aux compagnies. Il nous apprend ainsi que la question des trains spéciaux n’avait pas été débattue au Conseil général du Cantal – son rapporteur, le docteur Trapenard, n’ayant pas osé l’aborder après avoir été raillé sur une autre de ses propositions[2] – et que, de ce fait, il avait été contraint d’approcher lui-même le PLM et le PO. Pour finir, il invite ses compatriotes à plus de retenue : « … il faut éviter l’éclosion des mesquines jalousies, les querelles de boutiques ; c’est pour la Colonie tout entière que j’ai demandé l’organisation de ces trains spéciaux à prix réduits ; c’est à la Colonie tout entière, et non pas telle ou telle chapelle, qui doit en profiter ; pour moi c’est un seul bénéfice moral que j’en retirerai, celui d’avoir rendu encore un service à notre Colonie et au pays natal. »


Le 3 avril 1904, Bonnet informe ses lecteurs qu’un premier train sera mis en marche vers le 21 juin, dirigé depuis Paris sur Neussargues via Bort, à charge pour les camarades de l’Aveyron de se manifester au plus vite pour obtenir à la même date un second train en direction de Rodez via Figeac. De fait, dans son édition du 29 mai, L’Auvergnat de Paris annonce deux trains, le mardi 21 juin en direction de Neussargues, le 28 juin en direction de Rodez. Entretemps, le succès rencontré par le premier – les billets, dont la vente devait se poursuivre du lundi 13 au samedi 18, avaient été « enlevés presque d’assaut » dès le jeudi – avait conduit Bonnet à demander, et obtenir, un nouveau train pour le mercredi 22 juin, également en direction de Neussargues.


Ces trains, et ceux qui suivent jusqu’à la fin de l’année, partent de Paris-Austerlitz à 7 h 40 du soir. Ceux dirigés via Bort arrivent à Neussargues à 11 h 10 du matin, ceux acheminés via Brive touchent Rodez à 8 h 23 du matin.


Bien entendu, Bonnet n’aurait manqué pour rien au monde le départ, ce 21 juin 1904 au soir, du premier train spécial de L’Auvergnat de Paris dont il gardera « un souvenir ému », quoique terni par la réminiscence des critiques soulevées par sa démarche, dont certains subodoraient l’échec. « Mais le train était là, écrit-il le 26 juin, deux fois plus long que tous les autres, locomotive en tête [3] ; chacun y prenait sa place : les employés, sur des chariots, y portaient d’innombrables bagages ; il fallait bien se rendre à la réalité. Et celui qui avait mis tout cela en mouvement était là aussi ; il partait avec ses compatriotes ; il les accompagnait dans leur premier voyage ; tous devaient bien se rendre à une aussi palpable vérité. Aussi l’enthousiasme, quoique peu bruyant, était manifeste ; ce n’est pas la première fois que j’ai connu la popularité ; je ne l’ai jamais connue aussi intense, aussi empoignante. » Chemin faisant, les voyageurs, lui expriment toute leur satisfaction : « Ils se sont trouvés plus à l’aise que dans les trains ordinaires […]. On leur avait bien raconté partout que notre train spécial ressemblerait à ces trains dits de plaisir, mais en réalité de déplaisir, où l’on vous entasse comme des moutons et qui mettent vingt-quatre heures pour vous conduire au pays. Mais ce qu’on leur avait raconté, cela et bien d’autres choses encore, ce n’était que mensonge, et celui qui avait dit vrai, celui qui tenait ses promesses, c’était Louis Bonnet, l’ami qui voyageait avec eux, qui se trouvait au milieu d’eux. » Consécration, à l’arrêt à Vic-sur-Cère, les édiles locaux, trouvant trop long le vocable « trains spéciaux de L’Auvergnat de Paris », décident d’une autre dénomination : « … désormais on les appellera tout court trains Bonnet. Va pour les trains Bonnet ! » (L’Auvergnat de Paris, 26 juin 1904).


Le train du 28 juin, le premier dirigé sur Rodez, emporte encore plus de voyageurs que celui du 21, mobilisant pas moins de 34 voitures : « L’embarquement s’est opéré dans l’ordre le plus parfait ; mais, à cause de l’encombrement prévu, la Compagnie n’a pu permettre l’accès sur le quai aux familles et aux amis qui accompagnaient les voyageurs » (L’Auvergnat de Paris, 3 juillet 1904).


Si le PO se montre relativement affable, le PLM est plus réticent à accepter la proposition de Bonnet d’établir des trains spéciaux à tarif réduit à destination des régions auvergnates desservies par ses lignes et ne lui accorde qu’un seul train appelé à circuler le 4 août.



Gare de Neussargues.
Gare de Neussargues.


Fraudes à grande échelle

Qu’un seul train ait été programmé à destination de Clermont-Ferrand provoque une demande largement supérieure à l’offre (3 000 requêtes pour 1 000 places) et, par contrecoup, une intense spéculation sur les billets mis en vente. En effet, l’accès aux trains Bonnet reste subordonné à l’achat de billets aller et retour qui s’apparentent à ceux traditionnellement établis par les compagnies : dits au porteur, ils ne précisent pas le nom de l’acheteur et peut donc, à ce titre, être librement cédés. Aussi, leur raréfaction – accentuée par le fait que leur nombre est strictement limité à l’offre des places disponibles pour donner l’assurance aux voyageurs de ne pas voyager debout – est-elle propice au tripotage : leur réduction de 40 %, attire vite la convoitise des aigrefins qui trouvent là l’occasion d’engranger un bénéfice en les revendant à un prix inférieur à celui des billets à plein tarif. De fait, le 25 juillet, à peine la vente officielle des billets ouverte, les bureaux de L’Auvergnat de Paris, chargé de leur distribution, sont assiégés. Quelques jours plus tard, Bonnet révèle que les billets « ont été enlevés en peu de temps, et d’assaut pourrait-on dire ». Et de poursuivre : « Des scènes regrettables se sont même produites cher moi, à ce sujet. La foule est inconsciente et par conséquent excusable […]. Ce n’est pas précisément une raison pour qu’ils traitent mon domicile en pays conquis, envahissant l’escalier commun à tous les locataires, cassent les vitres, molestent le concierge et mon personnel » (L’Auvergnat de Paris, 31 juillet 1904). Mais, curieusement, il ne donne pas les raisons profondes de cette ruée. Il le fait en 1905, lorsque revenant à plusieurs reprises sur l’événement[4], il avoue que les agissements frauduleux de certains n’avaient pas échappé à sa vigilance : « J’avais, du reste, remarqué l’an dernier, vers le mois d’août, et surtout pour la délivrance des billets sur la ligne de Lyon, que, beaucoup qui ne faisaient point partie de la Ligue auvergnate, et qui sans doute n’étaient pas Auvergnats du tout, venaient prendre les billets par paquets de quinze, vingt et même de trente. Ce qui fit que les membres de la Ligue, les vrais Auvergnats, en furent pour la plupart privés » (L’Auvergnat de Paris, 14 mai 1905).



Des cartes nominatives en lieu et place des billets

Bien sûr, le PO et le PLM ne manquent pas de chapitrer Bonnet. Ils lui rappellent notamment que les billets à prix réduit, dont la vente relève de sa responsabilité, doivent être exclusivement réservés aux membres de la colonie auvergnate. Bonnet saisit la menace sous-jacente. Il en informe ses lecteurs : « … il ne faudrait pas non plus nous exposer à la suppression de [nos] trains en en favorisant l’accès à des individus qui se prévaudraient de certaines organisations pour acheter les billets en bloc ou par série et pour en majorer ensuite les prix » (L’Auvergnat de Paris, 26 mars 1905). La solution au problème passe par la délivrance de « cartes nominatives » en lieu et place des billets. Bonnet s’en explique : « Nous avons voulu, les Compagnies et moi, parer aux inconvénients de la fraude. La Compagnie de Lyon, qui agit d’ailleurs ainsi pour les Savoyards, et la Compagnie d’Orléans, m’ont demandé de ne plus délivrer des billets comme l’an dernier, mais des cartes nominatives ; elles m’ont demandé aussi de certifier l’authenticité du bénéficiaire de la carte. J’ai acquiescé à cette double demande […]. Les cartes seront nominatives, délivrées à un compatriote que nous connaîtrons, dont nous pouvons garantir l’authenticité ; quiconque voyagerait avec un billet ne lui appartenant pas s’exposerait à des peines d’amende et même de prison » (L’Auvergnat de Paris, 14 mai 1905).


Chaque carte est délivrée sur présentation soit d’une pièce prouvant l’appartenance à la Ligue auvergnate, soit la quittance d’abonnement à L’Auvergnat de Paris ou une bande d’envoi du journal. Elle porte obligatoirement le nom, l’adresse et la signature du récipiendaire. Peuvent y prétendre, outre les affiliés, leur épouse, leurs enfants, leurs parents et leurs employés[5]. Auxquels s’ajoutent les membres de sociétés « amies » approchées par Bonnet dès 1904, tant par solidarité avec la communauté auvergnate que pour faciliter le remplissage de ses trains : « Lorsque, l’an dernier, L’Auvergnat de Paris fonda pour sa clientèle, c’est à dire pour la Colonie avec qui elle se confond dans la Ligue auvergnate, ses trains spéciaux à prix réduit, je m’empressai de communiquer tout d’abord cette utile innovation à toutes nos Sociétés, leur demandant de m’aider, parce que j’étais tout disposé à favoriser, pour l’admission dans nos trains, leurs divers membres au même titre que ceux de la Ligue » (L’Auvergnat de Paris, 14 mai 1905). Pour les séduire, Bonnet va jusqu’à leur proposer de leur réserver un ou plusieurs wagons. Fraîchement accueillie – « Les Sociétés parurent ne pas me comprendre, ni même m’entendre » –, sa démarche finit par séduire, aidée par le succès rencontré par ses trains. Parmi les sociétés ayant répondu à l’appel, citons, entre autres, la Société des Enfants d’Aurillac (Gooudots), la Société de la Gentiane, la Société des Enfants de la Haute-Loire, la Société amicale des Enfants de Boisset, le Groupe des socialistes de la Haute-Loire, la Société amicale des Enfants du canton de Laroquebrou, l’Amicale du canton de Montsalvy, la Société des Enfants du canton de Maurs, etc.


Si elle les réduit, les cartes nominatives n’empêche pas pour autant les fraudes, qui portent essentiellement sur les coupons de retour. Le 23 juillet 1905, L’Auvergnat de Paris rappelle que ceux-ci ne peuvent être ni vendus ni cédés : « Nous avons été prévenu [par le PO] que plusieurs, de trop nombreux même procès-verbaux avaient été dressés au retour. Si de pareilles fraudes se continuaient, la Compagnie est décidée à supprimer, l’an prochain, nos trains à tarifs réduits. » Le 30 juillet, le journal fait état de plus de 150 procès-verbaux établis par les agents du PO pour ce motif. Le 10 septembre, Bonnet consacre au sujet une grande partie de son éditorial, incitant ses lecteurs à plus de moralité : « En effet, quand il fait, avec sa carte, voyager un autre que lui-même, [le fraudeur] occasionne à la Compagnie une réelle perte d’argent ; il commet un acte absolument répréhensible et que les tribunaux correctionnels ont le devoir de réprimer (…). Est-ce que nous pourrions raisonnablement demander aux Compagnies de nous continuer nos trains si nous émettions la prétention de leur créer une concurrence et de leur enlever leurs voyageurs ordinaires ? »


Billets de zones

Un exemple de la tarification par zones appliquée aux trains Bonnet (L’auvergnat de Paris, 19 août 1909).


Pour plus de compréhension du texte, nous conserverons le terme de « billet » de préférence à celui de « carte ».


Comme indiqué plus haut, les billets Bonnet portent une réduction uniforme de 40 % qu’elle que soit la classe choisie, contrairement aux trains des Savoyards pour lesquels le PLM applique une remise différenciée (40 % 1re classe, 50 % en 2e classe). Une option que Bonnet a réclamée par souci d’équité, avec la promesse d’obtenir 50 % en cas de bons résultats. La première année, les tarifs sont calculés en fonction de la distance parcourue : à chaque gare desservie son tarif. En 1905, changement de politique, sans doute par souci de simplification : « Les prix pour les billets seront établis par zones et non par gares, c’est-à-dire, par exemple, qu’on paiera à Mauriac comme à Loupiac ou à Vendes, à Marcillac comme à Rodez, etc. » (L’Auvergnat de Paris 26 mars 1905). Cinq zones sont créées avec pour corollaire cinq tarifs s’échelonnant entre 27 F (première zone : gares comprises entre Eygurande, Bort et Largnac) et 38 F (cinquième zone, gares comprises entre Marcillac et Rodez). Le billet de Paris à Neussargues en 3e classe revient ainsi à 32 F (par comparaison 60,60 F au tarif plein et 36,40 F au tarif réduit de 1904) ; celui de Paris à Rodez à 38 F (contre respectivement 65,50 F et 39,30 F). Par ailleurs, il est perçu sur chaque billet 10 centimes pour droit de timbre.


Les enfants de 3 à 7 ans jouissent, en lieu et place de l’avantage des 40 %, de la réduction de 50 % du tarif général. Ils peuvent également emprunter les trains Bonnet avec un simple billet d’aller, avantage obtenu par la Bonnet « pour les enfants que leurs parents doivent laisser au pays » (L’Auvergnat de Paris, 10 juillet 1904).


A la question d’un compatriote qui s’interroge sur la présence d’un « fourgon pour chiens », les compagnies répondent positivement, mais précisent que ceux-ci « paieront comme dans les trains ordinaires et n’auront droit à aucune réduction » (L’Auvergnat de Paris, 29 mai 1904).


Rappelons que les billets Bonnet donnent droit au transport gratuit de 30 kg de bagages pour les adultes et 20 kg pour les enfants. Leur validité est de de 90 jours (trois mois). Soumis à un départ groupé, leurs détenteurs peuvent regagner la capitale individuellement, à la date de leur convenance, en empruntant les trains du service ordinaire, y compris les express. Seul impératif, le retour ne peut s’effectuer qu’au départ de la gare indiquée sur le billet, ou encore de l’une quelconque des gares pour lesquelles il est payé le même prix ou pour lesquelles il est payé un prix inférieur.


Début 1914, L’Auvergnat de Paris informe ses lecteurs d’une modification importante apportée à la tarification par zones : « Les prix ont été cette année calculés par la Compagnie d’Orléans d’après la distance kilométrique, et toutes les gares comprises dans un même rayon kilométrique se voient appliquer le même tarif. Par ce fait, un certain nombre de prix ont été diminués, d’autres augmentés, d’autres enfin sont restés les mêmes » (L’Auvergnat de Paris, 14 mars 1914). Les gares sont désormais réparties entre dix zones kilométriques affichant chacune son tarif : 1re zone, de 346 à 372 km de Paris, 23,20 F ; 10e zone, de 630 à 661 km de Paris, 37,20 F. Les augmentations de prix dont pâtissent certaines suscitent des interrogations auxquelles répond le journal : « … nous nous permettrons de faire simplement remarquer que les nouveaux tarifs ne sont pas le fait de la Compagnie d’Orléans, mais du ministère des Travaux publics. Les bureaux de l’Etat ont en effet remarqué (au bout de neuf années) que certains voyageurs effectuant 600 kilomètres payaient moins cher que d’autres qui n’en effectuaient que cinq cent cinquante, et ils ont voulu faire une homologation des tarifs. Nous avons protesté avec vigueur et nous mettons au défi les colporteurs intéressés de certains racontars de prouver que nous ne sommes pas intervenus énergiquement pour que les prix ne soient augmentés en aucun cas. Nous nous sommes heurtés à un refus formel de revenir sur les décisions prises » (L’Auvergnat de Paris, 6 juin 1914).



La délivrance des billets : montrer patte blanche


L’accès aux trains Bonnet est subordonné à l’achat de billets aller et retour dont le nombre, rappelons-le, est strictement limité à l’offre des places assises. L’obligation de réunir un minimum de voyageurs pour qu’un train soit mis en marche (500 sur la ligne de Bort, 600 sur la ligne de Rodez, pour une limite supérieure théorique respective de 1 000 et 1 200 personnes) conduit à délivrer les titres de transport suffisamment tôt afin de laisser le temps aux compagnies de composer les rames en fonction des besoins.


Bonnet ayant obtenu l’exclusivité de la vente des billets de ses trains, c’est à son domicile, siège des bureaux de L’Auvergnat de Paris, au 13, boulevard Beaumarchais que s’opère originellement celle-ci. Elle y est assurée par un agent du PO, qui aidé par son épouse et son fils Louis, tient une permanence temporaire de 3 à 5 heures de l’après-midi. Les billets des premiers trains pour Neussargues et Rodez des mardi 21 et 28 juin 1904 sont mis en vente du lundi au samedi de la semaine précédant leur départ. Pour les trains suivant des 19 et 20 juillet, Bonnet craignant une affluence accrue, « l’époque étant plus propice pour les voyages », décide de satisfaire en priorité les lecteurs de son journal et les membres de la Ligue auvergnate, en leur offrant la possibilité de réserver leurs places dès le 4 juillet, soit une semaine avant la date d’ouverture de la vente, sous la forme d’une simple « demande d’inscription » dont il sera tenu compte pour les servir en premier (L’Auvergnat de Paris, 3 juillet 1904).



Gare de Rodez.
Gare de Rodez.

En 1905, consécutivement aux incidents du 4 août qui ont émaillés la vente des billets du train du 4 août 1904 pour Clermont-Ferrand, Bonnet, en butte aux de plaintes des éconduits, exige que les réservations soient désormais accompagnées d’un engagement ferme : « Les inscriptions à l’avance et par lettre ayant entraîné, l’an dernier, des inconvénients et quelques mécomptes, nous avons décidé de n’en plus recevoir. Ceux de nos compatriotes et clients qui voudront recevoir un billet n’auront qu’à nous en expédier le montant, en y joignant le prix d’une lettre recommandée pour la réponse » (L’Auvergnat de Paris, 9 avril 1905). Pour couvrir les frais, il leur est demandé la somme de 50 centimes pour un billet, de 25 centimes pour chacun des autres billets[6].


La période de réservation des billets est étendue à deux semaines, la « distribution générale » n’intervenant qu’une semaine avant le départ des trains. Ainsi pour celui du 21 juin à destination de Neussargues : « … cinq ou six jours avant la mise en marche du train, nous mettrons à la disposition de tout le monde les billets qui nous resteront, mais nous espérons qu’il ne nous en restera que fort peu » (L’Auvergnat de Paris, 28 mai 1905). Une autre mesure a pour objet d’étendre la plage horaire de la permanence assurée par l’employé du PO les jours de distribution générale au 13, boulevard Beaumarchais : « : « Sur ce que les heures de distribution n’étaient pas suffisantes et provoquaient un encombrement journalier, dont nous-même, d’ailleurs, avions subi les principaux désagréments, il sera paré à cet inconvénients par une distribution durant toute la journée, c’est-à-dire de neuf heures du matin à six heures du soir » (L’Auvergnatde Paris, 21 mai 1905).



Une Agence de voyages indépendante pour plus de clarté

En 1906, à la suite de la protestation de plusieurs locataires, le propriétaire du 13, boulevard Beaumarchais, informe Bonnet qu’il ne l’autorise plus à transformer ses bureaux « en gare ouverte au public ». Toutefois, l’affluence se produisant surtout l’après-midi, il accepte que ceux-ci continuent temporairement à distribuer les billets le matin de 9 h à midi, même le dimanche. Les après-midi (sauf le dimanche), la clientèle est donc invitée à se rendre au bureau de placement de la Mutuelle cantalienne, sis au 53, boulevard Beaumarchais, « c’est-à-dire tout à fait à côté de chez nous », ouvert de 2 à 6 heures (L’Auvergnat de Paris, 8 juillet 1906). Un mot ici sur la Mutuelle cantalienne. Créée à l’automne 1904, cette société de retraites et de placement, était installée depuis le 3 janvier 1905 au 11, rue de Rome, à proximité de la gare Saint-Lazare. C’est à la demande de Bonnet – qui l’avait convaincue de se muer en « mutuelle auvergnate » sous la raison sociale de Mutuelle cantalienne et des départements limitrophes – que ses bureaux se sont déplacés, le 12 février 1906, boulevard Beaumarchais, « en plein centre auvergnat », contre la promesse de la prise en charge du loyer. Avec pour contrepartie, comme indiqué plus haut, l’autorisation d’héberger un local affecté à la vente des billets, en appui à celui maintenu au siège du journal. Une autre clause de la transaction a été l’extension à tous les adhérents de la Mutuelle cantalienne des avantages des trains Bonnet.


En novembre 1906, Bonnet fait part à ses lecteurs que la Ligue auvergnate, abritée jusqu’alors dans les bureaux de L’Auvergnat de Paris, allait bientôt disposer de ses propres locaux. Elle pourra ainsi, dit-il, mettre en œuvre les « services » promis lors de sa constitution et jamais concrétisés, à commencer par un bureau de placement « général et gratuit pour tous, qu’ils fassent ou non partie d’une de nos sociétés » (entendez auvergnates). Il s’agissait pour Bonnet de lutter contre les officines payantes qui, bien qu’officiellement interdites, s’étaient reconstituées sous des formes différentes, voire contre les sociétés d’entraide qui, à l’exemple de la Mutuelle cantalienne, réclamaient un droit d’inscription. Ouvert le 26 novembre 1906, le siège de la Ligue auvergnate occupe, au 64 du boulevard Beaumarchais, « une vaste et confortable boutique » prise en location par Bonnet (L’Auvergnat de Paris, 18 novembre 1906). Outre le bureau de placement, le local abrite une librairie (livres, cartes postales) et l’« Agence de voyage » à qui incombe désormais la distribution de l’ensemble des billets des trains Bonnet. En vertu d’une convention passée avec le PO, l’agence fonctionne désormais comme bureau de ville de cette compagnie et délivre également, à ce titre, « tous les divers billets » en usage sur son réseau, du billet simple ordinaire au billet de voyages circulaires. Elle limite cependant son périmètre aux voyages ou excursions en Auvergne. Elle est ouverte tous les jours de 9 h à 11 h le matin et de 2 à 6 h le soir, le dimanche le matin seulement (L’Auvergnat de Paris, 28 avril/26 mai 1907).


Les raisons de cette agence ? Bonnet nous en révèle le secret en 1913 dans un édito titré « Chaque chose à sa place » qui fait le point sur ses activités passées et à venir au sortir de sérieux problèmes de santé : « Les Trains-Bonnet, qui sont dus à mon initiative, constituaient, depuis longtemps déjà, une administration absolument distincte du journal ; au début, lorsque je les ai obtenus, non sans peine, les billets étaient distribués au bureau du journal, par ma femme, par mes enfants, par mes divers collaborateurs qui leur venaient en aide ; ce travail, nous le faisions pour rien ; si des erreurs de caisse se produisaient, nous les réparions de nos derniers. Ces trains s’étant multipliés, les voyageurs ayant quintuplé, décuplé, ne pouvant plus les recevoir dans nos bureaux, nous avons demandé aux compagnies de nous décharger du soin et de la responsabilité de la distribution des billets ; une agence a été créée au numéro 64 du boulevard Beaumarchais ; elle a été agréée par les compagnies , qui l’ont aidée à couvrir ses frais de location et d’employés. Cette agence fonctionne, depuis plusieurs années, sous la direction de M. Bonnet fils ; elle vient d’être transférée au numéro 26 de la rue de La Cerisaie, près de la place de la Bastille et du boulevard Henri-IV, et elle a pris pour titre : Office du Tourisme en Auvergne. M. Louis Bonnet fils la dirigera toujours, mais elle reste indépendante du journal, qui se contente de lui faire la publicité nécessaire » (L’Auvergnat de Paris, 29 mars 1913).


Par cet édito, Bonnet continue aussi de répondre aux accusations d’enrichissement par prélèvement d’une dîme sur chaque billet vendu qui n’ont cessé de l’assaillir les années précédentes, et dont il s’est déjà vigoureusement défendu, en 1912 notamment : « Ce n’est que, lorsqu’au bout de quelques campagnes, mon propriétaire, sur la plainte des autres locataires, incommodés par l’affluence de nos clients, m’eût envoyé du papier timbré et m’eût menacé d’une expulsion sans délai, et que je fusse moi-même décidé à prendre en location, au numéro 64 du boulevard Beaumarchais, un magasin que je transformai en agence, qu’il fut question d’une indemnité à recevoir de la Compagnie. Nos compatriotes ont le sens pratique très aiguisé : admettraient-t-ils que j’eusse loué un magasin, que je l’eusse agencé, que j’y eusse installé des employés, le tout à mes seuls frais, afin d’y placer des billets de chemin de fer au bénéfice d’une Compagnie à qui nous versons, chaque année, plus d’un million de recettes et qui aurait tout laissé à ma charge ? Non ; cela eût été injuste, inadmissible, sot. La Compagnie me verse une indemnité avec laquelle je puis payer local et employés. » (L’Auvergnat de Paris, 23 mars 1912). Il en est de même, poursuit-t-il, de la publicité faite régulièrement par son journal pour les trains Bonnet : « Est-ce que mon fermier d’annonces, qui perçoit une somme d’argent pour toute annonce qu’il insère pour la vente d’un fonds ou d’une propriété, pour faire connaître une marque ou un produit, devrait abandonner gratuitement une ou plusieurs de ses colonnes à la réclame de Compagnies dont notre publicité même assure les recettes ? » (L’Auvergnat, 23 mars 1912).



Une montée en gamme : l’Office du tourisme en Auvergne


Ce sont ces mêmes jalousies qui, en 1912, conduisent Bonnet à transporter l’agence à une autre adresse sur le fait qu’elle présentait, aux yeux des malveillants, le tort de fonctionner dans les locaux de la Ligue auvergnate : « Cet inconvénient, explique-t-il, nous allons l’éviter, le supprimer. L’Agence des Trains-Bonnet abandonne son installation du numéro 64 du boulevard Beaumarchais. Elle prendra d’autres locaux ; elle se fondra dans un office du Tourisme en Auvergne ; elle ne pourra plus être considérée comme une succursale ou une annexe d’un journal quelconque. Ainsi, je l’espère, les évaluations aussi malveillantes que fantastiques qui me faisaient prélever sur chaque carte de voyage des gains formidables, s’évanouiront ; on se convaincra que jamais le prix des billets n’a été majoré chez nous, et il ne viendra à l’idée de personne de chicaner l’office du tourisme en Auvergne : on ne discutera pas plus cette organisation qu’on ne discute l’Agence Cook ou l’Agence Duchemin ; et chacun continuera à bénéficier des réductions que nous avons obtenues, sans se troubler la cervelle en calculs vains et sots » (L’Auvergnat de Paris, 17 août 1912).


Aménagés au 26 de la rue de La Cerisaie, les bureaux de l’Office du tourisme en Auvergne ouvrent le 3 novembre 1912. L’occasion pur Bonnet de rappeler que « comme les années précédentes, pendant les mois de novembre et de décembre, nos compatriotes trouveront, exposés dans les bureaux […] un grand choix d’articles de maroquinerie et de coutellerie pour les étrennes du jour de l’An » (L’Auvergnat de Paris, 2 novembre 1912).


On notera que sous cette appellation d’Office du tourisme en Auvergne, l’agence de voyages Bonnet organise depuis l’été 1912 des « excursions » de plusieurs jours en Auvergne (gîte et couvert compris), service inauguré par un circuit autour du Mont-Dore du 11 au 18 août.


En 1913, Bonnet fils se fend d’un article titré « Une Œuvre Nouvelle. Nos excursions », qui vise à expliquer les raisons de ce choix : « En dehors des milliers de "pays" qui utilisent nos trains pour se rendre en Auvergne et passer leurs vacances au milieu de leurs parents ou de leurs amis, il existe une catégorie de compatriotes qui ne peuvent profiter de notre organisation des trains à prix réduits, et cela pour des motifs très divers. Les uns, partis de bonne heure du pays natal, n’y ont plus de famille, presque plus de relations, et répugnent à loger à l’auberge ; d’autres, pour des raisons quelconques, n’ont pu réunir l’argent nécessaire pour faire bonne figure au pays, et, avec un sentiment de dignité fort naturel, ils préfèrent ne pas s’exposer à vivre chichement à côté de camarades plus chanceux. D’autres, encore, par suite de leurs occupations, ne peuvent s’absenter pendant plusieurs jours consécutifs, et en sont réduits à se contenter de la seule journée du dimanche pour se reposer de leur labeur quotidien. Pour tous ces compatriotes, non moins intéressants que ceux qui peuvent se payer le luxe d’un peu de loisir durant l’été, il appartenait à l’Auvergnat de Paris de créer une œuvre spéciale qui leur permit de se voir, de se réunir, de s’amuser, de parler ensemble du pays natal » (L’Auvergnat de Paris, 24 mai 1913). Dans cette optique, le nouvel Office du tourisme en Auvergne promeut une première « excursion exceptionnelle » d’un ou deux jours en Belgique (les dimanche et lundi du 22 et 23 juin) « par train spécial à marche rapide », en 2e ou 3e classes, avec pour points de chute Ostende (une journée), Ostende, Bruges et Gand (deux journées). Une seconde excursion, de trois jours, est proposée pour les fêtes de l’Assomption avec au programme Ostende, Bruges, Gand, Anvers et Bruxelles[7]. Ce 15 août toujours, les plus pressés ou les moins fortunés peuvent opter pour les bords de Seine, « splendide excursion champêtre » qui les conduira en bateau de Paris au Pecq, puis à pied (ou en tramway pour les moins courageux) jusqu’à Poissy à travers la forêt de Saint-Germain-en-Laye (piquenique), avec retour par la voie d’eau.