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SUR LES RAILS DE

L'HISTOIRE

Rails & histoire, l'Association pour l'histoire des chemins de fer vous propose de plonger dans l'histoire des chemins de fer au travers de nombreux domaines (législatifs, techniques, commerciaux etc...).Ces thèmes et dossiers seront amenés à évoluer au fil du temps : regroupements ou nouvelles déclinaisons pour les premiers, enrichissements pour les seconds.

CHEMIN DE FER ET CINEMA

Bruno Carrière


Depuis Louis Lumière et son incontournable « Arrivée d’un train en gare de La Ciotat » tourné en 1895, chemin de fer et cinéma sont indissociables, que le premier se soit mis au service du second ou, inversement, que le second ait servi les intérêts du premier.


Premiers documentaires ferroviaires (1896)


Les premières maisons de production cinématographique (Société A. Lumière et ses fils, L. Gaumont et compagnie, Pathé frères, etc.) n’hésitent pas, dès 1896, à ajouter à leurs catalogues de petits films ayant pour thème le chemin de fer. Le remarquable travail de préservation mené par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) permet aujourd’hui d’avoir une idée de ces témoignages d’un temps révolu (1). Outre quelques rares fictions (Combat sur la voie ferrée 1898, Flirt en chemin de fer 1902, Voyageur peu gêné 1904, etc.), ces films s’apparentent pour la plupart à de courts documentaires tournés tant en France qu’à l’étranger, pour l’essentiel des arrivées en gare filmées depuis les quais ou depuis un train. Quelques-uns cependant ont un regard plus social (Embarquement des pèlerins en gare de Lourdes 1897) ) ou une approche touristique (Le funiculaire d’Aix-les-Bains au Mont Revard 1897, Panorama sur la ligne de Beaulieu à Monaco 1900, Panorama de la ligne de Cauterets 1901, etc.). Pour ce faire, nul doute que les opérateurs ont bénéficié du soutien, sinon financier, du moins technique, des compagnies ferroviaires, ne serait-ce que l’autorisation de planter leurs caméras sur les quais ou, dans certains cas, de les fixer sur la toiture d’une voiture ou à l’avant d’une locomotive.


En dépit de quelques ouvertures (voir ci-dessous), les compagnies ne semblent pas avoir immédiatement perçu l’avantage qu’elles pourraient tirer du cinématographe naissant. C’est ce dont il ressort d’une décision collective arrêtée en février 1914 : « Il sera répondu négativement à la dépêche ministérielle du 10 février 1914, transmettant un article du journal Le Cinéma exposant l’intérêt que les compagnies de chemins de fer auraient à installer dans leurs grandes gares une salle où seraient projetées au moyen du cinématographe les vues des régions pittoresques situées sur le réseau, et demandant d’autre part que ces mêmes compagnies facilitent les déplacements des metteurs en scène de l’industrie cinématographique en leur indiquant, par exemple, directement les horaires des trains, les combinaisons de voyages, etc. (2) »


Premier film de propagande ferroviaire (1899)



Félix Mesguich vers 1900

Début 1896, Louis Lumière, à la recherche de personnes susceptibles de promouvoir son invention, donne sa chance à un tout jeune homme qui, bientôt libéré de ses obligations militaires, s’est spontanément présenté à lui : Félix Mesguich (1871-1949). Bien qu’étranger à toute technologie, notre candidat apprend vite les secrets du parfait « opérateur-projectionniste » sous la houlette de son mentor, lequel le met néanmoins en garde : « Vous savez, lui dit-il, ce n’est pas une situation d’avenir que nous vous offrons, c’est plutôt un métier de forain ; cela peut durer six moi, une année, peut-être plus, peut-être moins. » En attendant, Mesguich fait ses premières armes à Lyon, s’affirme, et devient l’ambassadeur officiel de la maison Lumière à l’étranger, à commencer par les Etats-Unis et la Russie qui, grâce à lui, découvrent « l’invention diabolique qui tantôt suscitait l’enthousiasme des foules et tantôt les frappait de terreur ! » (L’homme libre, 15 mars 1933). De retour en France, il s’illustre en exécutant en 1898, pour l'Agence nouvelle de publicité, le premier film publicitaire au monde, un court métrage comique montrant trois peintres se disputant devant une affiche murale sur laquelle est inscrite les mots « Ripolin peinture laquée ».


Peintres Ripolin

Dans son autobiographie, Mesguich relate cet épisode : « Boulevard Montmartre, au 2e étage d’un immeuble se déploie un vaste panneau de publicité. Un châssis va-et-vient reproduit des photographies comme dans la lanterne magique. Le promeneur ne s’y intéresse guère, il passe indifférent. C’est à mon opinion de la réclame sans résultat. J’imagine soudain que, s’il elle était animée, elle éveillerait bien davantage la curiosité des Parisiens. Dès le lendemain, j’explique cette conception à M. Vergnes, directeur de l’agence exploitant l’écran en question et, l’ayant convaincu, je pars pour Lyon chercher un matériel Lumière mixte, prise de vues et projection. C’est le 18 octobre 1898 qu’apparaît pour la première fois au n° 5 du boulevard Montmartre, la publicité lumineuse pour le cinéma. Désormais, de multiples affiches animées se succèdent sur l’écran en commençant par celle du "Ripolin". J’avais touché juste : dès le premier jour, tous les passants lèvent la tête, les omnibus à impériale "Madeleine-Bastille" s’immobilisent et les voitures de place s’arrêtent. Un service d’ordre doit être organisé sur les grands boulevards pour parer à l’embouteillage de la chaussée (3). »



A3 Capture Ripolin photogramme Lectures pour tous, année II, Paris, Hachette et Cie, p. 355, 1899

Fort de ce succès, Mesguich offre ses services à la Compagnie internationale des wagons-lits « qui invitait aux voyages touristiques par des clichés d’ailleurs bien choisis des Pyrénées, de la Savoie et de la Côte d’Azur ». Celle-ci relaie ses propositions auprès des réseaux visés : « Il s’agit tout simplement, explique Mesguich dans ses mémoires, de prendre le panorama des paysages tels qu’ils apparaissent lorsqu’on est à la portière d’un train en marche. » La réponse du PLM lui arrive huis jours après accompagnée d’une lettre circulaire à ses agents et d’un permis de circulation. Il obtient peu après les mêmes facilités du Midi. « Ainsi, écrit-il, au début de l’année 1899, l’écran en plein air de la Compagnie des wagons-lits place de l’Opéra put refléter un visage animé de quelques coins de France. »


Le pavillon des Voyages animés (1900)


Avec ou sans le soutien des compagnies ferroviaires, le recours à l’industrie cinématographique pour mettre en valeur les richesses touristiques de régions desservies, tant en France qu’à l’étranger, se développe rapidement. Les pavillons de l’Exposition universelle de 1900, qui offre au 7e Art naissant une tribune de premier ordre, proposent au public de nombreuses projections de ce type. Si les compagnies ferroviaires sont curieusement en retrait dans ce domaine, il n’en est pas de même de leurs homologues maritimes, notamment la Compagnie générale transatlantique et la Compagnie des messageries maritimes qui commandent pour l’occasion une série de reportages, la première à Mesguich, la seconde à Thévenon, un autre envoyé de la maison Lumière. Mais quoique visiblement absentes, les compagnies ferroviaires n’en sont pas moins présentes par le soutien financier apporté à l’agence de voyages Duchemin, concessionnaire du pavillon des Voyages animés, dont l’objet est de promouvoir cinématographiquement, en alternance avec des projections photographiques, les paysages de la France : sept programmes, renouvelés chaque jour de la semaine, se succèdent de 14 à 19 heures et de 20 à 23 heures dans une salle pouvant accueillir 200 personnes. Desservie auprès du public par des problèmes techniques récurrents dus à une alimentation électrique défaillante, la qualité de l’attraction n’en est pas moins reconnue à sa juste valeur (4).


Le panorama Transsibérien (1900)


Panorama Transsibérien 1900
Panorama Transsibérien ter

Ayant étudié de près l’irruption du 7e Art au sein de ladite Exposition, Emmanuelle Toulet établit un parallèle entre le nouveau venu et les panoramas dits « animés » ou « mouvants » qui préfigurent en quelque sorte le cinéma et jettent là leurs derniers feux (5). De fait, les panoramas, fixes ou animés, sont omniprésents. Parmi les plus remarquables figure celui que la Compagnie internationale des wagons-lits consacre au Transsibérien, sur lequel elle a obtenu en 1898 de pouvoir faire circuler ses trains. Pour l’occasion, la compagnie expose à la jonction des pavillons de l’Asie russe et de la Chine trois des voitures (un WR, un WL et une voiture-salon) qu’elle destine à cette ligne, récemment sorties de ses ateliers de Saint-Denis. C’est des fenêtres de ces voitures, et de l’espace aménagé à leurs pieds afin d’admettre un plus grand nombre de personne, que les visiteurs peuvent contempler le panorama long de 60 mètres et haut de 8. Celui-ci consiste dans le défilement de toiles peintes par Marcel Jambon (1848-1908) et son gendre Alexandre Bailly (1866-1947) – « si hautement appréciés de l’Opéra de Paris » – figurant un voyage de Moscou à Pékin (et qu’importe si les voies n’atteignent encore qu’Irkoutsk, à quelques encablures du lac Baïkal).


Panorama Transsibérien 2 La Nature 1er semestre 1900

Les toiles, au nombre de quatre, sont espacées les unes des autres et se déplacent électriquement à des vitesses différentes – plus rapide pour celle figurant le ballast au premier plan, plus lente pour celle recréant les paysages lointains – afin de créer une illusion d’optique complète. La durée du développement panoramique coïncide avec celle d’un repas au wagon-restaurant, soit 45 minutes. Le développement de chacune des toiles (120 m pour la première, 220 m pour la quatrième) et leur vitesse de défilement inégale (respectivement 300 m et 5 m à la minute) font que les mêmes objets des différents plans ne se superposent jamais deux fois de suite. Le journal La Nature nous a laissé une description technique précise des mécanismes mis en œuvre, conçus par l'architecte Georges Chedanne (1861-1940) auquel la CIWL doit également l'hôtel Elysée Palace inauguré en 1899 (La Nature, n° 1408, 19 mai 1900).


Si ce panorama est détruit à la fin de l’Exposition, il n’en est pas de même du second panorama commandé par la direction du chemin de fer transsibérien à l’aquarelliste Pavel Piasetsky (1843-1919) et exposé à la demande du tsar Nicolas II. De facture plus classique, il est limité au simple défilement d’une toile peinte dans un meuble de dimensions modestes. Longue de 999 m et large 38 cm, la toile est scindée en neuf rouleaux (un dixième leur est adjoint en 1903 pour tenir compte du contournement du lac Baïkal). Conservé au musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg, le panorama a été restaurée en 2006 (6).



Rappelons que lors de l’Exposition universelle de Bruxelles de 1935, il a été donné aux visiteurs du Pavillon français (où la partie non technique des chemins de fer nationaux a trouvé refuge) de vivre une expérience similaire : « Installés dans une véritable voiture, les voyageurs occasionnels vient se dérouler les sites les plus pittoresques de nos différentes provinces […]. Discrètement commenté par la voix d’un speaker averti, ce voyage fictif à travers des paysages brossés par de véritables artistes et suivi avec le plus grand intérêt par une foule incessante, est certainement une des curiosités les plus remarquées de l’Exposition » (L’Etat notre réseau, n° 47, août 1935). Cette attraction est reprise dans le cadre de l’Exposition internationale de Paris de 1937, puis dans celui de l’Exposition du Progrès social tenue à Lille en 1939.


La Roue d’Abel Gance (1922), la bête noire des syndicats



Abel Gance devant l'établi de Sisif Cinémagazine 29 février 1924

Après-guerre, le PLM est le plus prompt à répondre favorablement aux demandes du 7e Art (voir ci-dessous l’enquête menée en 1904 par le journal Le Cinéopse). Son apport à la réalisation de La Roue, le chef-d’œuvre muet d’Abel Gance présenté en décembre 1922 sur trois jours en raison de sa longueur, en est l’exemple le plus probant (7). L’histoire se résume aux relations conflictuelles entre le mécanicien Sisif, son fils Elie et sa fille adoptive Norma dont il est secrètement épris. Pouvoir tourner en extérieur est l’une des exigences de notre homme, démarche alors fort peu répandue. Le PLM consent à ce qu’il plante ses caméras dans les emprises de la gare des marchandises de Nice-Saint-Roch. Une entorse à toutes les règles de sécurité dont, confie-t-il en 1936 aux lecteurs du Bulletin du PLM, il a été « le premier et le dernier en date sans doute en France » à bénéficier (Le Bulletin PLM, n° 45, mai 1936). Dépêché sur les lieux du tournage pour le compte du journal L’Illustration, Robert de Beauplan témoigne : « On lui permit de s’installer à demeure dans la gare des marchandises de Nice, à proximité du grand dépôt de locomotives et d’édifier son décor entre les voies mêmes du chemin de fer, les locomotives et les trains passant constamment à moins d’un mètre des opérateurs et des acteurs. Il y avait un passage toutes les dix minutes environ. Afin d’éviter les accidents – car l’on débordait sans cesse sur les voies – on dut organiser un service permanent de signaleurs. Mais on obtint ainsi des "découvertes" vraies. Par chacune des fenêtres, ou des portes de ce premier décor, on apercevait des perspectives de rail, des mouvements de convois, bref, tout ce qui crée une atmosphère ».




Le PLM lui fournit également le personnel, mécaniciens, chauffeurs, hommes d’équipe. « C’est encore, poursuit Beauplan, un principe de M. Gance qu’il faut recourir le moins possible à des acteurs ou à des figurants et utiliser les personnages réels de chaque milieu qui seuls donnent l’impression de vie… Semblablement, ce furent les cheminots qui jouèrent les scènes de cabaret, les scènes d’accident. » Gance attend d’ailleurs que ses interprètes qu’ils s’identifient pleinement aux cheminots qu’ils côtoient et répètent les mêmes gestes dans les mêmes conditions


. « Il fallut, rapporte Beauplan, tourner des scènes en marche, de jour comme de nuit, et certaines d’entre elles sur la plate-forme même de la locomotives. Des groupes électrogènes furent attelés aux machines, les opérateurs et les appareils de prise de vues étaient installés sur le tender ou une seconde plate-forme accrochée au côté de la locomotive, et tandis que le mécanicien véritable ses dissimulait, l’acteur Séverin-Mars faisait tous les simulacres de la conduite » (L’Illustration, 17 décembre 1921).


En marge du film, Pathé produit en 1923 un documentaire muet de huit minutes Autour de "La Roue – réalisé par le poète et écrivain Blaise Cendrars qui, délaissant temporairement l’écriture pour le cinéma, occupe alors les fonctions d’assistant auprès de Gance. Sorte de « making-of » avant l’heure, il fait découvrir l’envers du décor.

Affiche La Roue 1923

A sa sortie, La Roue heurte la critique. Particulièrement virulent, Le Courrier cinématographique n’hésite pas à parler, dans son édition du 23 décembre 1922, de caricature : « Rien de ce qui se déroule sur l’écran n’arrivera jamais dans la vie, fort heureusement ! Et c’est pourquoi à aucun moment les héros du film ne nous ont émus. Non, rien de tout cela n’est vraisemblable […]. Chacun sait combien sont sérieux ces gens, à qui sont confiés des millions de vies humaines . Or le héros de La Roue, Sisif, s’il n’est pas fou au début, le devient bien vite et continue, malgré cela, son métier. Son aide-mécanicien nous est représenté comme un bon soûlard, comme une sorte de comique de la troupe […]. On ne voit s’agiter ces braves gens [les cheminots] que dans des cabarets borgnes, presque des bouges où le vin et l’alcool coulent à flots. Cela n’est pas rassurant pour les voyageurs. »


Plus grave, les syndicats de cheminots protestent. Pierre Sémard, secrétaire général de la Fédération des travailleurs des chemins de fer CGTU, monte au créneau par la publication d’un tract : « Nous n’avons pas vu "La Roue", mais des échos nous viennent qui nous la présentent comme une caricature de notre corporation, comme un danger social. Afin de nous rendre compte par nous-mêmes des fautes et des faux qu’il renferme, des erreurs qu’il comporte et dont l’action pourrait être préjudiciable aux travailleurs des chemins de fer, nous demandons à M. Ginesty, président du Comité de censure, de nous montrer "La Roue", et de faire appel à nous pour que soient apportées à ce film toutes les modifications nécessaires […]. Imaginez "La Roue" passant telle qu’on nous l’a décrite dans le XIIe, quartier de cheminots ! Ce serait un joli chahut […]. Alors, c’est bien simple : un film médical ne peut être jugé que par un médecin, un film d’histoire par un historien, un film colonial par un colonial. "La Roue" met en cause le monde des travailleurs de la voie. C’est donc à ceux-ci qu’il faut demander un avis. Nous demandons à voir le film et à indiquer nous-mêmes les coupures à faire . C’est pour nous un droit, un devoir. Et si l’on nous refuse ce droit… et bien, nous nous défendrons et nous sommes plusieurs centaines de mille en France, travailleurs de chemin de fer, qui ne consentirons jamais à ce que notre corporation soit présentée sous un jour ridicule et odieux. »


Léon Moussinac, le critique de cinéma attitré du journal L’Humanité est plus mesuré. Il explique qu’il faut « avoir le courage d’oublier tout ce qui pouvait dans ce film nous être insupportable ou même odieux », que si « du point de vue social, comme du point de vue dramatique le film d’Abel Gance n’est pas défendable », éclate dans La Roue « les lueurs d’une sorte de génie cinématographique qui pour être incomplet, n’en existe pas moins ! »(L’Humanité, 23 février 1923).


Il ne faut pas oublier, non plus, les manœuvres souterraines des dirigeants des grandes compagnies visant à soutenir l’encadrement dont Gance dénonce la suffisance et l’incapacité. Le ministre des Travaux publics, Yves Le Trocquer, songe un instant à interdire le film. Pour apaiser les esprits, la maison Pathé impose à Gance des coupes sombres successives – le film est ramené de huit à trois heures en France et à moins de deux heures en Angleterre. Ulcéré par cette « censure incroyable », ce dernier écrit le 11 avril 1923 au représentant de Pathé Limited à Londres : « Cela correspond à enlever des pages un peu partout dans un roman. » La critique est-elle allée trop loin ? Quelques mois plus tard, le scénariste René Jeanne estime les incidents et protestations « plus provoqués que spontanés ». Pour lui, le doute n’est plus permis, La Roue « est une œuvre de grande classe, car seules les œuvres de valeur soulèvent l’indignation de la masse » (Cinémagazine, 29 février 1924).


Echaudé le PLM ? Non pas. En 1923, il apporte encore son aide à un autre cinéaste, Paul Barlatier, pour le tournage de La Course à l’amour. Cette comédie met en scène une jeune fille qui aimée de trois de trois hommes décide de les départager en accordant sa main à celui qui voyagera le plus longtemps avec elle tant sur terre que dans les airs. Le PLM prend en charge le transport par le rail des matériels nécessaires et des artistes, et finance les déplacements par la route à hauteur de 10 000 francs.



L’enquête du journal Le Cinéopse (1924)


Le Cinéopse organe mensuel

En 1921, plusieurs notes portant sur l’organisation des services de publicité des différents réseaux sont adressées au chef-adjoint de l’Exploitation de la Compagnie du Nord. L’emploi du cinéma n’y est mentionné à aucun moment.


En 1924, la revue Le Cinéopse mène une enquête auprès des industriels et commerçants français, invités à répondre à la question : « Utilisez-vous le cinéma ? » Cette enquête est publiée en plusieurs volets, dont un est spécialement consacré aux compagnies de chemins de fer (Le Cinéopse n° 57, 1er mai 1924). Les réponses font état de l’emploi occasionnel de films, voire d’aides directes apportées aux cinéastes, mais, la démarche reste encore marginale.


S’exprimant au nom du PLM, l’inspecteur principal de l’Exploitation Paul Faralicq se déclare un « grand ami du cinéma », qu’il croit « appelé à un avenir merveilleux », et affirme ne laisser échapper aucune occasion de l’aider par le biais d’importantes réductions tarifaires accordées tant pour le déplacement des techniciens que pour le transport du matériel nécessaire. Il en a été ainsi, précise-t-il, de la société de production Natura-Film pour le tournage de documentaires dans les Alpes, dont certains subventionnés car jugés « particulièrement intéressants pour notre propagande ». Faralicq concède toutefois que le PLM n’a jamais été à l’origine de la commande de ce type de films, sa préférence allant à leur achat sur catalogues pour illustrer les conférences de propagande données en son nom par les hommes de lettres, artistes et autres voyageurs. Faralicq avoue cependant une exception : un petit documentaire dont il a lui-même dirigés les prises de vues, consacré aux entrepôts frigoriques de la compagnies et utilisé par lui en appui de rencontres auprès des agriculteurs et éleveurs (8). On peut y suivre les opérations effectuées dans les entrepôts de Paris, de Lyon et de Marseille ; le transport des viandes congelées en wagons frigorifiques ; la ronde des chalutiers de Boulogne-sur-Mer et l’expédition de la marée par trains frigorifiques au départ de ce port, en France mais aussi jusqu’en Suisse et en Italie. A la question du journaliste qui s’étonne que ce film ne soit pas diffusé auprès du grand public, il répond que le PLM n’entend pas se lancer pour l’instant dans une telle entreprise, qui sortirait par trop de son cadre.


Plus encore que Faralicq, le directeur du Service du tourisme de la Compagnie du Midi s’affirme comme un partisan inconditionnel du 7e Art, estimant que le cinéma est « un extraordinaire agent de publicité ». Il invite d’ailleurs son interlocuteur à passer le soir sur le boulevard des Capucines « voir défiler sur l’écran que nous avons installé devant les fenêtre de notre office du tourisme tous les films de notre cinémathèque (9) ». Commandés aux Etablissements Pathé et Gaumont, ces films font la promotion de « tous les sites pittoresques des régions que nous desservons par autocars », notamment ceux de la route des Pyrénées dont les services saisonniers affichent complets longtemps à l’avance : « Ce résultat merveilleux, je l’attribue pour une très grande part à l’emploi du cinéma, de même que la faveur dont jouissent les stations hivernales de Superbagnères et de Font-Romeu. » Le Midi n’hésite d’ailleurs pas à prêter ses films comme « documentaires » aux salles de cinéma, aux sociétés d’enseignement postscolaire et aux conférenciers. Et notre directeur de conclure : « Je suis heureux de pouvoir rendre un hommage très sincère à ce pauvre cinéma, souvent décrié bien à tort et qu’il suffit de savoir employer intelligemment pour en faire un instrument de propagande incomparable. »


Un enthousiasme que ne partage pas le secrétaire général de l’Ouest-Etat, Tony Reymond, qui se retranche derrière la modicité du budget que le réseau consacre à sa publicité, or « le film coûte cher ». Une dizaine de petits films n’en a pas moins été commandé aux Etablissements Pathé, consacrés aux plus beaux sites desservis, parmi lesquels un voyage de Paris à Londres par Dieppe et Newhaven en coopération avec le South Eastern and Chatham Railway. A l’exemple du Midi, le réseau opte pour une large diffusion. Le public n’est malheureusement pas au rendez-vous : « Je dois vous avouer, confie-t-il, que l’emploi du cinéma n’a pas répondu à nos espoirs ; je m’en suis rendu compte en allant assister, dans les salles auxquelles on les avait prêtés, à la projection de ces films. Le public ,ne manifeste aucun plaisir à voir défiler de beaux paysages, des sites pittoresques, des curiosités naturelles, des villes intéressantes, et attend impatiemment le Charlot ou le 10e épisode du roman-cinéma pour lequel il est venu tout exprès. Croyez-moi, ce n’est pas le cinéma qui apprendra au peuple la géographie de la France et lui donnera l’envie d’entreprendre des voyages dans nos provinces dont on se soucie comme de rien. Cette publicité ne nous a pas procuré, j’en suis sûr, trois voyageurs de plus. Alors à quoi bon dépenser de grosses sommes pour un but aussi illusoire ? J’ai donc cessé – à mon grand regret, j’en conviens – l’emploi du film et l’expérience a été trop décevante pour que nous en tentions de nouvelles dans le même sens. »


Le porte-parole du Nord, l’inspecteur principal Chevallier est tout aussi réservé. Selon lui, le tissu essentiellement industriel du réseau ne se prête guère au tournage de films touristiques. Ce constat a conduit le Nord à se limiter à quelques « documentaires ». Trois sont mis en avant, le premier consacré à la gare de Calais-Maritime (distribué en priorité outre-Manche, il a pour but d’inciter les Anglais à emprunter la traversée Douvres-Calais de préférence à celle de Newhaven-Dieppe), le second aux courses hippiques de Chantilly, le troisième au train spécial reliant Paris à Bruxelles en 3 h 45 sans arrêt intermédiaire (projeté tant en France qu’en Belgique dans le cadre des actualités Gaumont). Chevallier ne cache pas sa réticence : « D’une manière générale, je suis assez sceptique quant au rendement de la publicité […]. Cependant, je ne suis pas opposé à l’emploi du cinéma dans certains cas, et bien que nous ne soyons pas disposés à donner une très grande extension à cette propagande, il est possible que nous décidions à faire enregistrer d’autres bandes. »



Raoul Dautry, l’ami du cinéma


De marginal, le recours au cinéma par les Grands Réseaux prend une place grandissante au tout début des années 1930. L’un des hommes qui contribue le plus à ce mouvement de par sa notoriété est Raoul Dautry, directeur général des Chemins de fer de l’Etat depuis 1928. Homme de son temps, il ne peut ignorer le cinéma, qui le lui rend bien. Dans son édition du 1er février 1933, Le Cinéopse le fait figurer d