1943 : mécaniciens et chauffeurs sous la mitraille
Traqués par l’aviation alliée missionnée pour neutraliser le maximum de locomotives, mécaniciens et chauffeurs ont payé un lourd tribut à la guerre. Dans le meilleur des cas érigés en héros par la presse collaborationniste, plus généralement passé sous silence, leur sacrifice a été occulté au sortir du conflit au profit de figures plus consensuelles.

Agents cités à l’ordre de la SNCF
(Renseignements hebdomadaires SNCF du 16 avril 1943)
Aujourd’hui bien oublié, ce sacrifice est pourtant bien réel, mis en lumière par les Renseignements hebdomadaires SNCF, feuille à destination de l’ensemble des agents affichée dans tous les établissements ferroviaires[1]. Par son biais, les cheminots sont régulièrement informés à partir de 1942 des « citations » qui rendent hommage à leurs morts « pour faits de guerre ». Parmi ceux-ci, mécaniciens et chauffeurs sont les plus représentés, victimes des mitraillages aériens, mais aussi, dans une moindre mesure, des déraillements consécutifs aux « actes de sabotage » visant à désorganiser le trafic.
Certes, « la figure du cheminot victime et modèle du dévouement » a participé à la propagande de Vichy. Dans son rapport, La SNCF sous l'occupation allemande, 1940-1944[2], Christian Bachelier dénonce notamment la liste « de belles citations » diffusées par les Renseignements hebdomadaires, donnée à titre de « renseignements destinés à un journaliste à fin d'éloge du personnel SNCF ». Mais quel régime n’a jamais eu recours à cet artifice ?
Indirectement accusés d’avoir collaboré pour avoir servi la propagande de Vichy, nos mécaniciens et chauffeurs – pétainistes de conviction pour certains peut-être, de circonstance pour la majorité sans doute[3] – mais prêts avant tout à donner leur vie par devoir.C’est ce que rappelle le Petit Champenois (Reims) dans un billet d’humeur publié sous le titre « Ceux des chemins de fer » le 7 octobre 1943 : « Mais si la valeur de notre organisation des transports par fer est incontestable, que dire de leur valeur humaine ?... Imagine-t-on ce que représente de prix, d’opiniâtreté, de courage, d’abnégation et souvent d’héroïsme la mission actuelle des mécaniciens et des chauffeurs ? Tantôt attaqués par des avions anglo-américains qui les mitraillent, tantôt menacés par des saboteurs qui les guettent criminellement, ils font coûte que coûte leur devoir. Mauvais matériel, surcharges, accroissement épuisant des heures de service : rien ne compte pour eux que d’arriver au but, aussi exactement que possible. Leur règle d’or, c’est le métier ; leur code d’honneur, c’est l’horaire ; leur charge, c’est la vie des hommes qui leur est confiée : aucun obstacle ne les rebute, aucun danger ne les décourage… »
Propagande ou pas[4], les Renseignements hebdomadaires SNCF décident de le citer dans son édito – « A propos de l’effort fourni par notre Corporation » – du 29 octobre 1943, accompagné de ses propres commentaires : « On pourrait ajouter : aucun sacrifice ! Car nous voyons s’allonger dans ce Bulletin des rubriques de "Citations" qui certes nous remplissent de fierté, mais qui, trop souvent hélas, sont des hommages posthumes. Et la fierté doit faire place à un immense sentiment de pitié quand on fait la somme des douleurs et des larmes correspondant à ces citations d’équipes tuées à bord de leur machine ou de leur fourgon[5]. Et ce ne sont pas seulement des agents des services roulants qui sont frappés. Nous avons vu tomber en septembre, et, tout récemment encore, des chefs de gare, des dirigeants de la voie, des cantonniers […]. C’est grâce à ce dévouement, à cette conscience professionnelle et ce "respect du métier", apanage des vrais cheminots, que le chemin de fer arrive quand même à pouvoir « tourner rond » et que le public de France nous garde sa confiance et son estime. C’est assez dire combien peut être grande notre dette de reconnaissance envers les veuves et les orphelins de toutes ces victimes cheminotes du devoir. »
Le premier mitraillage de locomotive relevé par les Renseignements hebdomadaires date de l’été 1941. Y est fait mention de la citation à l’ordre de la Nation d’Adrienne Doubledent, aide-ouvrière au Landy, distinguée « pour avoir le 8 août 1941, lors de l’attaque d’un train par avion, donné au moyen du matériel de la boîte de secours, les premiers soins au mécanicien et chauffeur blessés » (RH 17 octobre 1941). La première victime recensée est Maurice Salome (47 ans), mécanicien de route à Dunkerque, mitraillé en gare de Pont d’Oye le 31 octobre 1941, décédé ce même jour à l’hôpital de Dunkerque après l’amputation des deux jambes (RH 13 novembre 1942, n° 60)[6].
Les Renseignements hebdomadaires ne commencent véritablement à dénombrer les mitraillages que fin novembre 1941. Cette démarche est à rapprocher du constat dressé par le Rapport sur le fonctionnement des services au cours de l’Exercice 1942 : « Les faits de guerre se sont beaucoup développés au cours de l’année. Les "mitraillages" de locomotives, commencés en octobre 1941, sont devenus de plus en plus fréquents et nous ont causé des pertes importantes de personnel, des immobilisations de locomotives et des travaux supplémentaires » (Chapitre II, Le Matériel et la Traction, p. 35). Viendront s’y ajouter, à partir de 1943, les déraillements liés à des actes de sabotage, tout aussi meurtriers,
Les agents de conduite sont néanmoins majoritairement victimes d’attaques aériennes, soit par mitraillage soit par bombardement, en ligne ou en gare, Signalons cependant les circonstances particulières de la mort de Maurice Delcourt (41 ans), chauffeur de route au dépôt de Sotteville : « Conduisant le train 5129 du 27-7-42, a été grièvement blessé par la chute d’un avion qui, volant à basse altitude, a percuté sur l’avant de la machine. Est décédé des suites de ses blessures » (RH 9 octobre 1942). La fiche dressée par la SNCF est plus explicite : « Le 26.7.1942 à 2 h 45, entre les gares de Foulcart-Alvimare et le Bolbec-Nointot, l’avion qui mitraillait le train 51-29 équipé par le chauffeur Delcourt, étant tombé à proximité de la machine et ayant pris feu, cet agent a été carbonisé. »
Le destin est parfois cruel. Ainsi pour René Nogent, élève-mécanicien à Laon, : « tué [le 23 juin 1944] lors du bombardement aérien de l’Hôtel Dieu à Laon (Aisne) où il avait été hospitalisé à la suite de blessure reçues en service au cours du mitraillage par avions de sa machine le 27.5.44 » (fiche Archives SNCF).
Citations et Légion d’honneur

Diplôme de citation créé par la SNCF en 1943. Émile Seignerin (37 ans), chauffeur de route à Saintes, mitraillé le 22 mai 1943 en gare de Pons (Charente-Inférieure)
Le sacrifice des mécaniciens et chauffeurs est récompensé par diverses distinctions :
citation à l’ordre de la Région pour les agents blessés ;
citation à l’ordre de la SNCF pour les agents mortellement atteints ou, bien que grièvement blessés, se sont comportés de façon exemplaire ;
médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement, distinction créée en 1833 récompensant toute personne qui, au péril de sa vie, se porte au secours d’une ou plusieurs personnes en danger de mort (accompagne souvent une citation à l’ordre de la SNCF) ;
citation à l’ordre de la Nation, titre de reconnaissance créé en 1917 par le président Raymond Poincaré pour récompenser « les services ou actes de dévouements exceptionnels accomplis pour la France au péril de sa vie, à titre civil ou militaire » (elle l’accès à l’ordre de la Légion d’honneur) ;
inscription à l’ordre de la Légion d’honneur.
Ces distinctions sont cumulables. Certains agents se voient également remettre l’une des nombreuses médailles frappées à l’effigie du maréchal Pétain. Tout comme certaines familles sont destinataires d’une lettre de condoléances signées de Pierre Fournier, président de la SNCF.
Au printemps de 1943, la SNCF décide d’éditer un « diplôme de citation » en vue de permettre à tout agent cité à l’ordre de la SNCF ou de l’une de ses Régions de conserver un document commémorant sa belle conduite[7]. Ce diplôme est remis rétroactivement aux agents ayant fait l’objet d’une citation parue avant-guerre dans la revue Notre Métier ou dans l’un des bulletins hebdomadaires qui lui ont fait suite. À partir de juin 1943, il accompagne la publication des citations à l’ordre de la SNCF ou de la Région. Si celle-ci est faite à titre posthume, le diplôme est adressé à la famille de l’agent. Le directeur général de la SNCF demande à ce qu’il soit, autant que possible, accompagnée d’une petite cérémonie et des commentaires appropriés. Le diplôme se présente sous la forme d’une planche de 27 x 35 cm dont le motif central est emprunté à un tableau du peintre-illustrateur Émile Schefer. Inséré sous le dessin, le libellé du motif de la citation est signé par le directeur de la Région, plus exceptionnellement par le directeur général de la SNCF. « Si modeste que soit la qualité de l’édition en raison des restrictions actuelles, ce document n’en sera pas moins bien accueilli au sein de notre corporation et ceux qui le verront décerner y attacheront certainement un grand prix. Beaucoup de ces agents seront heureux et fiers de l’accrocher chez eux à la place d’honneur, comme le témoignage officiel de leur dévouement au métier » (RH 7 mai 1943).
La première citation à l’ordre de la SNCF intéressant un agent de la Traction – Alphonse Lhonoré (40 ans), conducteur d’autorail faisant fonctions de chauffeur de route au dépôt de Caen – est publiée par les Renseignements hebdomadaires en décembre 1941 : « Le 2 novembre 1941, son train ayant été mitraillé et le mécanicien tué sur le coup, eut le courage bien que grièvement blessé de prendre les dispositions nécessaires pour éviter un grave accident en arrêtant le train. A succombé quelques heures plus tard à ses blessures » (RH 5 décembre 1941,).
Entre 1943 et 1944, dix-neuf mécaniciens et de chauffeurs ont été élevés au rang de chevalier de la Légion d’honneur, à savoir :
par décret du 19 mai 1943 : Jean Bobin, élève-mécanicien au dépôt de Laroche ; Maurice Fay (48 ans) et Jean Souquier (28 ans), mécanicien et chauffeur de route au dépôt de Paris-la Villette ;
par décret du 5 juillet 1943 : Eugène Arsicaud (49 ans), mécanicien de route au dépôt de Sotteville ; Albert Michel (46 ans), mécanicien de route au dépôt de Dieppe ;
par décret du 12 juillet 1943 : Henri Ryckebusch, chauffeur de route au dépôt de Dunkerque ; Léon Cardon, chauffeur de route au dépôt de Boulogne ; Eugène Langevin et Roger Masse mécanicien de route et ajusteur faisant fonction de chauffeur de route au dépôt de Vaires ;
par décret du 19 août 1943 : Antoine Lomellini (29 ans), chauffeur de route au dépôt de Sotteville ; René Tessier (38 ans) et Robert Letellier (31 ans), mécanicien de route et manœuvre faisant fonction de chauffeur au dépôt d’Argentan ;
par décret du 22 décembre 1943 : Louis-Marie Braouezec (49 ans) Jean-Louis Le Coz (30 ans), mécanicien et chauffeur de route au dépôt de Morlaix ; François Berthelé (34 ans), conducteur d’autorail faisant fonctions de chauffeur de route au dépôt de Sotteville ; Théophile Diguerher (52 ans), mécanicien de route au dépôt de Lannion ;
par décret du 18 avril 1944 : Albert Prédhomme, mécanicien de route au dépôt du Bourget ; Georges Maison (45 ans), mécanicien de route au dépôt de Longueau ; Jérôme Petitpré (45 ans), mécanicien de route au dépôt de Longueau, 29 juin 1943.

Ci-contre : Annonce de la remise de la Légion d’honneur à Henri Ryckebusch, chauffeur de route au dépôt de Dunkerque (Le Matin, 25 octobre 1943).
Précisons ici que, premier sur la liste, Jean Bobin a été décoré en 1943 à « titre exceptionnel » pour des faits remontant au mois de juin 1940. Bien que n’entrant pas dans le cadre de notre étude, son attitude face aux périls mérite d’être citée : « Le 15 juin 1940, appelé à la gare d’Auxerre au secours de nombreux réfugiés qui attendaient leur évacuation, s’est signalé en la circonstance par un remarquable esprit d’initiative et un absolu mépris du danger. Dans les conditions matérielles les plus difficiles et sous le feu des mitrailleuses et des chars ennemis, a formé un train et l’a amené chargé de 500 réfugiés. Son chauffeur ayant été grièvement blessé au départ d’Auxerre par des bombes tombées à proximité de la machine, a assuré seul la conduite du convoi, réussissant à plusieurs reprises, par d’habiles manœuvres, à le soustraire à l’action de l’ennemi, et parvenant en outre, à recueillir en cours de route un groupe d’une quarantaine d’enfants rapatriés d’une colonie de vacances. Grâce à une énergie indomptable, a pu gagner Lyon après avoir parcouru près de 300 kilomètres dans la zone de combat. A l’occasion de ces faits, M. Bobin, déjà titulaire de la Croix de Guerre 1914-1918, a reçu la Croix de guerre 1939-1940. »[8]
Si l’on excepte Jean Bobin, les premiers agents de conduite distingués le sont pour avoir amené leur convoi à bon port en dépit de leurs blessures, à l’exemple de Léon Cardon, chauffeur de route du dépôt de Boulogne, associé à Delcroix, élève-mécanicien : « Assurant la remorque d’un train le 15 juillet 1942, dans une zone particulièrement dangereuse, ont subi plusieurs attaques aériennes au cours desquelles M. Delcroix a été mortellement blessé. Bien que légèrement contusionné, M. Cardon a spontanément assuré la conduite du train jusqu’à destination, après avoir pris toutes dispositions utiles pour que son mécanicien puisse recevoir les soins nécessaires le plus rapidement possible. »
À partir de l’été 1943, ne sont retenus que les agents qui, bien que mortellement blessés, ont trouvé les ressources pour immobiliser leur machine, à l’exemple de Louis-Marie Braouezec : « Le 6 juin 1943, mortellement blessé au cours d’une attaque aérienne, a eu la présence d’esprit et le courage de faire le nécessaire pour arrêter son train avant de succomber, donnant ainsi un très bel exemple de conscience professionnelle. » Arrêter son train, ou encore « actionner les freins » ou « fermer le régulateur et serrer le frein », avec, parfois, une précision supplémentaire comme « malgré les projections de vapeur dans la cabine ».
Une mention spéciale pour Albert Prédhomme pour avoir su arrêter son train dans des conditions particulièrement périlleuses : « Le 1er août 1942, alors que la chaudière de la machine qu’il conduisait venait, par suite de mitraillage aérien, d’être perforée et que les organes de conduite étaient devenus inaccessibles, a fait preuve d’initiative et du plus grand courage en réussissant par une manœuvre, particulièrement dangereuse, alors qu’il était brulé aux mains, à arrêter son convoi en désaccouplant la conduite générale de frein entre le tender et le premier véhicule, donnant ainsi un magnifique exemple de conscience professionnelle. Le 14 février 1943, a été blessé au cours d’un nouveau mitraillage du train qu’il remorquait. Le 18 mai 1943, a essuyé une nouvelle attaque aérienne. »
Une exception à cette règle est faite pour Albert Michel (décret du 5 juillet 1943) en raison de ses états de service éloquents : « Bien qu’ayant subi à quatorze reprises différentes des attaques aériennes et ayant été deux fois blessé au cours de ces attaques, a donné un très bel exemple de courage professionnel en continuant d’assurer son service dans des régions exposées. A succombé à ses blessures après avoir été de nouveau mitraillé le 6 février 1943 » (RH, 1er octobre 1943). Écarté pour ne pas avoir eu la possibilité d’arrêter son train avant de succomber ?
Précisons ici qu’en cas d’attaque aérienne, la meilleure échappatoire pour les personnes présentes à bord du convoi est de s’égayer dans la nature. D’où l’obligation pour les équipes de conduite d’immobiliser son train au plus vite. Elles ont ainsi pour consigne de ne pas quitter leur machine avant d’avoir pris à cette fin toutes les dispositions voulues. Une conscience professionnelle qui, en retardant la fuite, est parfois fatale. Ainsi Georges Rousseau, élève-mécanicien à Angers qui, le 24 juin 1944, mitraillé à hauteur de la gare de Villevêque-Corzé (ligne de La Flèche à Angers), est « tué en descendant à terre pour se mettre à l’abri : plaie de l’abdomen » (fiche Archives SNCF),
Il arrive aussi que l’instinct de survie soit la plus forte comme l’indique cette citation à l’ordre de la Région du Nord décernée à Louis Gaudry, homme d’équipe et cantonnier à Rochy-Condé, « pour avoir, le 5 novembre 1943, alors que la machine d’un train venait d’être mitraillée et continuait sa marche après avoir été abandonnée par le mécanicien et le chauffeur, réussi à prendre place sur celle-ci et l’arrêter » (RH 23 juin 1944). La reconnaissance de la dangerosité du métier
La reconnaissance de la dangerosité du métier est actée par l’attribution, à partir de 1er mai 1943, aux agents de conduite appelés à circuler sur les lignes particulièrement exposées aux mitraillages, d’une indemnité spécifique, dite indemnité « M ». Sont considérées comme critiques les lignes ayant essuyées au moins deux agressions dans le mois. Elles sont classées en trois catégories suivant le nombre d’attaques subies dans ce laps de temps 2, 3 ou 4 attaques (1re catégorie) ; 6, 5 ou 7 attaques (2e catégorie) ; 8 attaques ou plus (3e catégorie). Ces catégories permettent le calcul de l’indemnité, qui varie selon la dangerosité du trajet suivi : 40 F si le parcours comprend au moins un tronçon de ligne appartenant à la 3e catégorie, 30 F si le parcours comprend au moins un tronçon de ligne appartenant à la 2e catégorie, 20 F si le parcours comprend au moins un tronçon de ligne appartenant à la 1re catégorie. Cela s’entend pour un trajet effectué dans sa totalité sur une ligne ne comprenant que des tronçons répondant à une ou plusieurs des catégories définies. L’emprunt d’une ligne offrant des tronçons non sujets à des mitraillages et des tronçons catégoriels donne droit également à des indemnités : 20 F si le parcours comprend au moins un tronçon de ligne appartenant à la 3e catégorie, 15 F si le parcours comprend au moins un tronçon de ligne appartenant à la 2e catégorie. 10 F si le parcours comprend au moins un tronçon de ligne appartenant à la 1re catégorie.
Peuvent prétendre à l’indemnité « M » les agents du Service de route remplissant les fonctions de mécanicien, de chauffeur, de conducteur-électricien ou d’aide-conducteur-électricien, de conducteur d’autorail. Elle s’étend également aux contrôleurs de traction, chefs mécaniciens, chefs de conducteurs-électriciens, chefs conducteurs d’autorail, moniteurs et agents en formation, circulant sur les machines en Service de route. En bénéficient aussi les chefs de train qui, en vertu des règlements en vigueur montent sur les machines ou locomotives électriques conduites par un seul agent Traction. En revanche, sont excluent les équipes de conduite des locomotives de manœuvres en service sur les machines des gares, les conducteurs de draisines et de locotracteurs, les agents qui peuvent être appelés certains jours à circuler sur les machines, tels que les chefs ou sous-chefs de dépôt, les chefs de train ou conducteur de train circulant haut le pied pour rejoindre leur train, etc. (RH 11 juin 1943, n° 88).
L’indemnité « M » est étendue à dater du 1er février 1944 aux lignes particulièrement visées par des déraillements résultant d’actes de sabotage, « mais pour moitié seulement, le risque d’accident mortel s’avérant dans ce cas sensiblement deux fois moindre qu’en cas de mitraillage ». Par ailleurs, sont admis au bénéfice de l’allocation les agents de train, « avec cependant un taux réduit de moitié pour tenir compte de ce que ces agents sont moins exposés que le personnel des machines » (Conseil d’administration SNCF, séance du 20 mars 1944).
Une autre faveur est faite en octobre 1943 aux agents de conduite blessés au cours d’attaques aériennes. Celle de pouvoir continuer à percevoir les rations supplémentaires dont ils bénéficiaient lorsqu’ils exerçaient leurs fonctions – avantage jusqu’alors limité à quinze jours – jusqu’à la date de reprise du service dans les mêmes fonctions ou jusqu’à la date de décision médicale proposant leur affectation à un autre emploi ou à la réforme. La mesure s’étend cette fois-ci aux mécaniciens et chauffeurs de manœuvres. Il est bien spécifié que cette mesure ne s’adresse qu’aux seuls agents blessés au cours d’attaques aériennes, le gouvernement « (ayant) voulu manifester ainsi sa sollicitude pour ces victimes du devoir » (Le Journal, 7 octobre 1943).
La reconnaissance de la dangerosité du métier
L’intensification des attaques aériennes a conduit la SNCF à prendre des mesures visant à protéger les mécaniciens et chauffeurs. À commencer par la distribution de casques à partir de fin 1942, protection à première vue dérisoire pour parer aux munitions employées, mais efficace contre les projections des éclats. Reste que la pauvreté des stocks disponibles, en dépit des livraisons consenties par l’occupant, ne permet pas d’équiper l’ensemble des équipes de conduite qui, si elles figurent en tête des agents à pourvoir, doivent faire avec les besoins de leurs camarades des dépôts, ateliers, triages, etc.
Plus efficace est le blindage des cabines de conduites : « Dès 1941, la SNCF commence à munir les locomotives des zones côtières de dispositifs destinés à protéger les agents de conduite contre les attaques aériennes. L’activité toujours plus intense de l’aviation alliée l’a conduite à augmenter progressivement le nombre des machines à protéger et à adopter des dispositifs de plus en plus résistants et étendus. Fin 1942, près de 1 100 ont été ainsi transformées, et le poids du métal nécessaire pour ces blindages, qui était de 300 kg dans les premiers modèles, s’élève dans les solutions les plus récentes à plus d’une tonne par locomotives » (Rapport sur le fonctionnement des services au cours de l’Exercice 1942, p. 42) Une protection qui, au vu du nombre des tués et blessés comptabilisés, reste toutefois nettement insuffisante, ainsi que le signale un quotidien dont les propos sont repris par les Renseignements hebdomadaires : « Les locomotives sont maintenant équipées pour la protection de leurs conducteurs, avec des plaques de blindage. Mais outre que, en cas d’attaque aérienne, cette protection vaut surtout pour les projectiles tombant à la verticale, mécanicien et chauffeur restent particulièrement exposés aux jets de vapeur provoqués par la rupture des canalisations » (RH 11 juin 1943, édito « L’opinion publique et le courage des Cheminots »).

Blindage des cabines de conduite. Les pointillés délimitent les parties concernées par l’opération (SNCF Rapport des Services 1942)
Le problème est évoqué le 13 juillet 1943 par Jean Berthelot, directeur général adjoint de la SNCF, lors d’un entretien confidentiel avec Hans Münzer, président de la HVD (Haupt Verkehrs Direktion/direction générale des transports). Berthelot rappelle l’intensification des mitraillages, particulièrement « démoralisante » pour le moral des agents de conduite, et aborde la question de leur vulnérabilité : « Les attaques des mécaniciens et chauffeurs par avions ont les effets les plus sérieux et tout doit être envisagé pour assurer une meilleure protection de ce personnel particulièrement exposé (un dépôt a perdu en un an 30 % de son effectif en tués et blessés sur les machines) ; pour ce qui la concerne, la SNCF installe des abris sur ses locomotives, mais il y a des retards par suite du manque de main-d’œuvre. D’autre part, un contingent spécial d’acier, à raison de 2 T environ par machine à équiper, devrait être accordé » (Fonds Paul Durand, Archives nationales).
Une autre préoccupation est la protection des convois circulant la nuit, et notamment celle des trains de voyageurs. L’invitation à apporter les plus grands soins à leur « occultation » émane de la HVD (lettre du 22 avril 1943) : « Une importance particulière doit être attribuée à ce que le personnel des locomotives et d’accompagnement des trains soit avisé à temps de l’état "d’alerte aérienne". Il y a lieu de prendre des mesures pour que le signal d’alerte destiné à aviser les trains soit donné par tous les Services d’après la "Notice relative aux mesures à prendre dans l’exploitation en cas d’alerte ou d’attaques aériennes" et (soit) perçu par le personnel des trains[9]. La perception du signal devra être confirmée par le mécanicien de la locomotive qui, à cet effet, actionnera le sifflet de la locomotive en émettant des signaux modérément longs et courts. Ensuite, le personnel d’accompagnement devra vérifier avec un soin particulier si l’occultation des trains a été faite d’après les prescriptions. Le feu de la locomotive ne devra être alimentée qu’avec la plus grande prudence et après fermeture des rideaux de l’abri du mécanicien. Il y a lieu de veiller rigoureusement à ce que les trains ne frappent aucunement l’attention en laissant percer vers l’extérieur un filet de lumière. »
Enfin, toujours à l’initiative de l’occupant, certains trains sont dotés d’une défense anti-aérienne. Ceux entrant dans la composition des TCO comportaient depuis 1940 un wagon équipé d’un canon DCA. En 1943, les autorités allemandes informent la SNCF de leur intention d’introduire ce type de wagon pour la protection des trains de marchandises et de voyageurs. Pour les premiers, elles demandent à la SNCF de « rassembler des expériences pratiques » en équipant un wagon approprié à quatre essieux qui serait placé devant la locomotive (lettre HVD du 13 mars 1943). Rien ne permet d’affirmer que cette mesure ait abouti.
Plus élaborée est la demande portant sur la protection des trains de voyageurs, plus particulièrement des trains omnibus et express de différentes lignes des EBD Paris-Nord et Ouest (lettre HVD Paris du 27 mars 1943) : « Ceux-ci (les wagons DCA) circuleront, en principe, en queue du train, et ne recevront pas de remorques à petits bords. Pour obtenir néanmoins un champ de tir favorable, le wagon DCA doit être accroché de telle façon que le canon soit placé sur l’essieu du wagon Rs [quatre essieux] le plus éloigné du train. Il faudra donc toujours tourner le wagon à l’aller ou au retour. Les trains à marche rapide, pourront, dans la plupart des cas, supporter cette charge supplémentaire sans qu’il soit nécessaire de modifier la formation du train. Au cas où la charge du train serait dépassée, il faudra s’accommoder de raccourcissements de trains sans égard aux voyageurs, la protection des locomotives étant une nécessité primordiale. Afin d’éviter des retards, les opérations de manœuvres nécessaires pour l’adjonction ou le retrait du wagon DCA, devront être exécutées au moyen de locomotives spéciales. Lorsque ceci n’est pas possible, il faudra tenir compte de ces difficultés dans les horaires des wagons à établir par les EBD. Les unités de DCA n’utiliseront pas régulièrement les mêmes trains. » Dans un premier temps, la mesure porte sur dix trains de permissionnaires allemands SF (lettre HVD Paris du 28 avril 1943) : les 4/104 de Paris-Nord à Aulnoye, les 801/901 de Cherbourg à Rouen et Arras, les 805/905 de Saint-Brieuc au Mans, les 824/924 de Brest au Mans, les 2026/ 2126 de Dol à Folligny et Versailles-Chantiers. Leur vitesse est limitée à 90 km/h.
Une conséquence annexe des mitraillages, l’extension du régime de la banalité
L’une des conséquences de la mise hors service (définitive ou temporaire) des locomotives par suite de mitraillages, bombardements et déraillements est l’extension de la banalisation de leur conduite pour un meilleur rendement. Cette évolution, qui visait à supprimer le principe voulant que chaque machine soit confiée à une équipe (un mécanicien et un chauffeur) dédiée, est la résultante d’une demande de la HVD Paris basée sur une consommation de charbon jugée trop importante. Dans une lettre en date du 3 février 1944, la HVD reconnaît que celle-ci est imputable au parc « suranné » des machines de la SNCF et à l’emploi d’un combustible de mauvaise qualité, deux raisons auxquelles il est impossible de remédier. Mais, poursuit-elle, il en est une autre qui mérite d’être examinée : « A maintes reprises, nous avons attiré votre attention sur l’utilisation irrationnelle des locomotives à vapeur et nous vous avons demandé d’y remédier. Le régime généralement appliqué d’une seule équipe par locomotive provoque de longs stationnements sous feu et, par conséquent, un accroissement de la consommation de charbon qu’on ne peut pas justifier ». La HVD demande donc à la SNCF de réduire les stationnements sous feu qui aurait pour avantage « de faire face au volume actuel du trafic avec un nombre moindre de locomotives et de (lui) permettre de disposer d’un parc supplémentaire de locomotives rendues libres pour faire face à de nouveaux transports ». Et la HVD de poursuivre : « Il va donc s’agir de rendre moins étroite l’union du personnel et des locomotives, comme cela s’est fait à la DR [Deutsche Reichsbahn]. » Aussi invite-t-elle la SNCF à doter les locomotives incriminées de 2,2 équipes au 1er mars 1944 et de 2,5 équipes au 1er avril 1944, soit cinq hommes au lieu de deux.
La SNCF répond le 23 février que faire face au trafic actuel avec un parc plus réduit de locomotives nécessiteraient, zones nord et sud confondues, un effectif supplémentaire de 3 600 agents tant pour leur conduite (2 560) que pour leur entretien (1 040), l’augmentation de ce dernier poste résultant de l’accroissement des avaries et des immobilisations consécutives à la banalisation. Compte tenu de l’autorisation délivrée par la HVD en décembre 1943 d’augmenter les effectifs des dépôts et ateliers qui leur sont attachés de 2 000 agents, non encore opérationnels (difficultés de recrutement, long temps de formation), ce chiffre peut être ramené à 1 600 (3 60 – 2 000). Sauf à prévoir une augmentation du trafic actuel comme envisagé par la HVD, ce qui impliquerait de recruter 2 500 agents supplémentaires, soit au final un total de 6 100 nouveaux embauchés (2 000 + 1 600 + 2 500). La SNCF se défend de pouvoir répondre dans l’immédiat à cette demande : « Nous ne pouv